Le 12 (le ce mois s'ouvrira, à Versailles, l'Exposition des Travaux d'Apprentissage des Pupilles de la Nation de Seine-et-Oise. Le 31 décembre 1921, ils étaient au nombre de 12.436.
Sur ces 12.436 pupilles, il y eu a, cette année, 882 qui ont 14 ans, 1.005 qui ont 13 ans, 1.120 qui ont 12 ans, en tout 3.007.
Sur ces 3.007 Pupilles, M. Charles Ferdinand-Dreyfus demande trente garçons pour sa ferme d’apprentissage agricole de Bel-Air, par Briis-sous-Forges.
Propriétaire d'une ferme de 50 hectares, il l'a louée à une Association moyennant un loyer de un franc. Comme administrateur délégué de cette Association, il a, en 1920 et en 1921, versé dans la caisse sociale, sous forme de dons manuels, des sommes dont nous n'indiquerons pas le montant pour ne pas le désobliger. Le voilà maintenant amené à publier une brochure ornée d'images et à répandre dans tous les offices et dans tous les dispensaires de la région, pour obtenir trente enfants dont l'œuvre qu'il dirige puisse, en trois ans, faire de bons et braves cultivateurs, conscients de leur devoir professionnel, moral et social, et susceptibles, par leur travail rationnel et régulier, d’apporter leur contribution au relèvement et à la prospérité du pays.
La tâche, est, paraît-il, ardue. Car au mois de Juillet 1922, l'effectif de la Ferme n’était que de 28 apprentis, et sur ces 28 apprentis, il n’y en avait que 22 qui fussent des Pupilles de la Nation.
Il faut donc recourir à la publicité.
Voici ce que dit M. Charles Ferdinand-Dreyfus dans sa brochure:
Il explique d'abord qu'il a voulu, au retour de la guerre, alors que tous les cultivateurs se plaignaient de ne plus trouver de bons ouvriers agricoles, créer une pépinière qui. produirait ce personnel si difficile à recruter.
Pour atteindre ce but, il a voulu donner à l'apprentissage une durée assez longue afin que les aptitudes de l'enfant puissent s'affiner et qu'il puisse, à la fin de son apprentissage, choisir la branche du travail agricole qui lui conviendrait le mieux.
L'établissement est absolument gratuit.
Il contient trente places. Il ne reçoit que des internes. Les enfants ne reçoivent pas de salaire. Mais ils touchent, à la fin de leur apprentissage, un pécule constitué au moyen d'un prélèvement sur le montant de la vente des produits de la Ferme. Pendant la durée du séjour de l'enfant, l'Œuvre pourvoit à tous les frais de logement, d'alimentation, d'habillement, d'entretien, d'instruction.
L'année débute le 1er Octobre.
Les enfants sont admis à l'âge de 13 ou 14 ans s'ils ont passé leur certificat d'études primaires. Nous n'entrerons pas dans le détail du régime intérieur. Disons seulement que l'établissement est une ferme d'apprentissage agricole, qu'il n'est donc ni un sanatorium, ni une maison de correction. Il s'agit de mettre entre les mains des enfants le plus stable et le plus sain des métiers.
Les Pupilles de la Nation sont admis de préférence.
Nous ne parlerons pas de l'aménagement de la ferme. M. Charles Ferdinand-Dreyfus a pris le soin d'intercaler, dans le texte de sa brochure, trente-huit photographies, qui montrent les bâtiments, le dortoir, la cuisine, le réfectoire, etc. On y voit les enfants détruire les œufs de bourdon, ramer les haricots grimpants, jouguer les bœufs, alimenter et traire les vaches, nourrir les agneaux au biberon, écrémer le lait, tondre les brebis, labourer, rentrer les foins, faire les chemins, moissonner, battre les récoltes, tronçonner les arbres abattus, etc.
La culture consiste en avoine, fourrages artificiels, blé, seigle, escourgeon, betteraves fourragères, rutabagas, pommes de terre, carottes, haricots, soja.
Cinq chevaux, quatre bœufs de trait, neuf vaches laitières, six génisses, un taureau, vingt-quatre brebis, des porcs, des lapins, des poules, constituent le cheptel.
Le travail est réparti entre les enfants, de manière à le rendre attrayant par la diversité.
Voici le programme d'une journée moyenne de printemps ou d'automne:
À 5 h. 50, réveil et lever de l'équipe chargée de traire les vaches et de donner à manger aux bêtes de trait. Chaque enfant passe à tour de rôle, tous les cinq jours, à ce travail. Les équipes étant de cinq ou six enfants chacun, au lever, ne trait qu'une vache, deux au plus par exception.
À 6 h. 20, réveil des autres enfants. Chacun fait son lit, toilette au lavabo, torse nu et eau froide, en toute saison.
À 7 heures, petit déjeûner: un demi-litre de lait par enfant, avec un farineux (tapioca, crème de riz, etc.; le jeudi, chocolat au lait; le dimanche, café au lait, avec pain à volonté). Tartine de fromage ou de beurre destinée à être mangée au milieu de la matinée.
Travail de 7 h. 1/4 à 11 h. 3/4, plus ou moins coupé de haltes.
À midi, déjeuner: soupe, viande, deux légumes, dessert. Une fois par semaine, le poisson remplace la viande. Les œufs remplacent un légume, ou le dessert.
Départ pour le travail variant de 13 heures en hiver, à 15 heures en été; retour des champs, variant de 16 heures en hiver, à 20 heures en été.
Vers 16 ou 17 heures, goûter: pain, chocolat en tablettes; en été, boisson (coco).
Entre 18 et 19 heures, traite des vaches.
Selon la saison, dîner un quart d'heure après le retour des champs en été. En hiver, enseignement post-scolaire pendant une heure à une heure trois quarts avant le dîner.
Menu du dîner: soupe, farineux, dessert.
Ce menu est fréquemment augmenté pendant les périodes des durs travaux. La ration de viande quotidienne est de 100 grammes environ. Les enfants ont pain et légumes à volonté. Leur boisson est du cidre coupé d'eau.
Les enfants ont tout au moins huit heures de sommeil. Ils dorment la fenêtre ouverte.
Pour les soins de propreté, douches froides à volonté. Obligation d'en prendre, en été, chaque soir, au retour du travail, et, en hiver, de prendre au moins une douche chaude par semaine.
Pendant les heures de récréation qui suivent les repas, les enfants disposent de livres, de jeux soit de plein air, soit d'intérieur.
L'enfant écrit à qui il veut, autant qu'il veut. Pas de lecture obligatoire, pas de jeu obligatoire.
Les travaux quotidiens de ménage ou d'épluchage sont exécutés par des domestiques salariées, avec l'aide de la directrice. Les bonnes balayent tous les jours les dortoirs.
Les enfants les encaustiquent à tour de rôle une fois par semaine. Ils entretiennent les étables, les écuries, les douches et les w.-c. Ils apprennent tous à repriser leurs chaussettes.
Le dimanche, ils ont toute liberté d'action dans le parc de Soucy (37 hectares): foot-ball, courses, saut, jeux de balle, pêche à la ligne, billard, jeux de dames, dominos, manille, mécano.
En hiver, projections, séances de cinéma, livres, revues.
Les récompenses consistent en promenades, visites aux Expositions agricoles, voyages, permissions en famille, vacances.
Les punitions consistent en travaux supplémentaires, privation de jeux.
Telle est la vie que mènent les enfants.
Qu'apprennent-ils?
Ils choisiront plus tard leur spécialité. Mais ils apprendront à accomplir les travaux suivants:
Soigner et conduire les chevaux; soigner et conduire les bœufs; soigner et traire les vaches; faire du beurre et du fromage, engraisser un veau et un cochon; élever poulets et lapins; soigner les brebis et les agneaux; tondre la laine; faire une castration facile; labourer un brabant, se servir de la canadienne, de la herse, de la herse à prairie, du rouleau, du distributeur d'engrais, du semoir à grains; soigner le fumier; semer à la main, engrais ou semences; mener la boue à cheval; le butoir à pommes de terre; le semoir à haricots; faucher à la faux; mener la faucheuse à foin; la rateleuse, la moissonneuse-lieuse; faire des voitures de foin ou de paille; faire des meules; se servir de la batteuse; lier les gerbes; user du tarare; du trieur; du coupe-racines; de l'aplatisseur à grains; de tous les outils de jardin; démonter, entretenir, remonter et régler les instruments employés, faire les manches d’outils, affiler les diverses scies; faire de la menuiserie, du charronnage, de la forge, de la vannerie, fabriquer du cidre, faire l’ouvrage de bûcheron, choisir les arbres à abattre, les abattre, les débiter, distinguer de quel bois on fera du plancher, des pieux, des manches d'outils, des échelles, une planche de tombereau, un côté de brouette, des claies, un pèse-veau, une vêleuse, ou un broyeur de pommes de terre, savoir quel bois ne sera bon qu'à brûler.
Les apprentis pratiquent tour à tour, pour les besoins de l'établissement, la culture potagère, l'arboriculture fruitière et un peu d'horticulture. Ceux qui aiment les fleurs, choisissent les variétés dont ils ornent le jardin. Ils soignent tous le rucher, nettoient les ruches à cadre, et récoltent le miel à l'aide de l'extracteur centrifuge. Ils apprennent à mener et à entretenir le tracteur; à tenir la comptabilité de la laiterie, la comptabilité générale de l'exploitation et à faire la correspondance. Ils apprennent, en un mot, à se faire apprécier par leur futur patron, et à se tirer d'affaire par leurs propres moyens, le jour où ils seront leurs maîtres.
Enfin, les enfants reçoivent l'enseignement post-scolaire qui convient à leurs facultés et à leur degré d'instruction.
Ajoutons que l'Association se charge, avec le consentement de la famille, de placer elle-même ses apprentis, quand ceux-ci quittent la ferme.
La tâche à laquelle elle se consacre, consiste à donner, tous les ans au pays, dix travailleurs agricoles, aptes à devenir des cultivateurs d’élite.
Tel est le but que poursuit l'école gratuite d'apprentissage agricole de Bel-Air.
L’Association a constitué un Comité d'honneur, dont font partie toutes les personnes ou collectivités qui effectuent les versements ci-après:
1° Mille francs une fois versés, donnent droit au titre de membre perpétuel;
2° Cotisation annuelle minimum de cent francs, donnant droit au titre de membre bienfaiteur;
3° Cotisation annuelle minimum de dix francs, donnant droit au titre de membre adhérent.
Les membres du Comité d'honneur sont convoqués, tous les ans, en Assemblée générale, et sont mis au courant de la marche de l'Association, des moyens mis en œuvre et des résultats obtenus.
En 1920, les cotisations des membres du Comité d'honneur se sont élevées à 3.975 francs. En 1921, elles se sont élevées à 13.285 francs. Il est à souhaiter que cet appui moral et financier se continue et se développe de plus en plus.
Il le faut d'autant plus, que le Conseil général de Seine-et-Oise, qui avait accordé à l'Œuvre une subvention de 1.000 francs en 1920, a réduit cette subvention à 500 francs en 1921.
L'Office National des Pupilles de la Nation avait accordé, en 1920, une subvention de 10.000 francs à l'Association pour l'achat d'un tracteur, et cette somme avait été imprudemment portée à l'actif du bilan de l'Association.
Mais M. Lebureau veillait et au bilan, de 1921, dans la colonne du passif, on lit cette mention:
Recette défaillante, inscrite au budget de 1920, et impossible à encaisser: 10.000 fr.
En revanche, nous continuerons à entendre des discours pathétiques sur la nécessité de développer l'agriculture et de favoriser le retour à la terre.
La brochure de M. Charles Ferdinand-Dreyfus dit quelque part:
“Nous voulons faire de nos enfants, non seulement déplions cultivateurs qui comprennent pourquoi il faut façonner la terre, mais aussi de bons citoyens, lucides, se méfiant des rhéteurs”.
C'est qu'en effet, il sait mieux que personne, que ce n'est pas avec des phrases qu'on forme des cultivateurs d'élite.
Mais en parlant ainsi, il est loin de montrer le moindre découragement. Il constate, au contraire, avec satisfaction, que si, au cours des deux premières années, l'Association qu'il administre, n'était parvenue à toucher qu'un nombre de subventions d'apprentissage minime, par contre, cette année, la plupart des Offices départementaux des Pupilles de la Nation lui ont versé des subventions d'apprentissage variant de 0 fr. 66 à 4 francs par jour, et par Pupille.
De plus, vingt-sept Conseils municipaux du département de Seine-et-Oise se sont déjà fait inscrire au Comité d'honneur, soit comme membres bienfaiteurs, soit comme membres adhérents.
Si en publiant ces divers renseignements, nous parvenons à aider la Ferme d'apprentissage agricole de Bel-Air, à compléter son effectif de trente apprentis pour le premier octobre prochain, nous serons heureux d'avoir apporté un faible concours à une œuvre qui honore le nom de notre regretté Sénateur, Ferdinand-Dreyfus.