Il est peu de maladies pour lesquelles un traitement convenable et promptement appliqué soit plus nécessaire. Le moindre retard peut être cause des plus graves accidents et de la mort même. Avant de parler du traitement proprement dit, je dirai un mot du traitement préservatif de cette affection.
Il consiste en simples moyens hygiéniques que doivent mettre en usage toutes les personnes qui, par profession, sont appelées à soigner des bestiaux ou à travailler leurs débris.
Ainsi il faudra, toutes les fois qu'on aura fouillé un animal
7), se laver immédiatement le bras avec le plus grand soin et à grande eau, mieux vaudrait avec de la lessive de cendres ou une légère solution aqueuse chlorurée; on agira de même après avoir pansé quelque plaie de ces mêmes animaux. On pourrait substituer alors sans inconvénient à la lessive le vinaigre et même l'eau de chaux. Dans les cas où ces moyens manqueraient, l'urine elle-même pourrait être employée. Il faudrait redoubler de précaution si l'épiderme était |
345| enlevée sur quelques points. On évitera encore avec grand soin de tenir entre ses dents le couteau qui servit à dépouiller l'animal, et en été, de porter sur l'épaule, le cou étant nu, la peau fraîche de la bête qui vient d'être équarrie; j'ai vu plusieurs fois des bergers contracter le charbon pour en avoir agi ainsi.
Quant aux ouvriers mégissiers, tanneurs ou équarrisseurs, ils devront, après avoir travaillé des dépouilles d'animaux soupçonnés morts du sang, user des lotions ci-dessus indiquées, plusieurs fois par jour, au moins avant chaque repas. Il leur faudra surtout se mettre constamment en garde contre l'envie de se gratter telle ou telle partie du corps avec les doigts salis de matière animale.
Le traitement curatif proprement dit a pour but de détruire le principe septique dans son centre primitif, et à le combattre dans l'économie entière, lorsqu'il l'a infectée, à l'aide de moyens appropriés: de là deux modes curatifs, un externe ou local, et l'autre interne. En général, ces deux sortes de moyens curatifs devront presque toujours marcher de front, parce que, dans la plupart des cas, on n'est appelé que dans la seconde période du mal.
Le traitement local consiste dans l'application sur la pustule elle-même de caustiques plus ou moins puissants, destinés à anéantir le foyer toxique.
Tout le monde est d'accord sur le principe de la cautérisation; mais chacun varie sur l'agent spécial propre à l'effectuer: les uns emploient le beurre d'antimoine solide ou liquide, d'autres le nitrate acide de mercure; il en est qui préconisent le fer rouge. Pour mon compte, j'ai trouvé ce moyen fort infidèle, et il est d'ailleurs très-effrayant. Le caustique qui m'a paru préférable à tous les autres, qui est, du reste, employé par un très-grand nombre de praticiens, c'est la potasse ou pierre à cautère. Avant de décrire le procédé que j'emploie avec succès, je dirai que depuis longtemps j'ai rejeté |346*| comme inutiles, barbares et dangereuses même, les incisions grandes ou petites, pratiquées dans les environs de la pustule charbonneuse. Outre la douleur qu'elles occasionnent, elles ont l'immense inconvénient défavoriser la mortification et de faire pénétrer des fluides putrides dans des chairs encore saines. La vitalité a une si grande tendance à s'éteindre, dans ces cas, que la moindre division ou cautérisation peut déterminer la formation d'eschares énormes, qu'on attribue à la maladie elle-même, bien qu'elles soient le résultat du traitement.
Muni d'un morceau de potasse caustique, autant que possible de potasse à l'alcool, je le charge dans le porte-nitrate, si la potasse est fondue en cylindre, ou je le saisis à l'aide de pinces à pansement, quand elle est en tablette. Le malade étant assis ou couché, je commence à ouvrir les vésicules en promenant circulairement sur elles et sur l'eschare mon morceau de caustique; dans le cas où cette eschare est trop sèche ou trop épaisse, j'en enlève quelques pellicules à l'aide d'une lancette bien affilée. Au bout de quelques instants, l'avidité de la pierre pour l'humidité fait que la portion de celle-ci qui est en contact avec les parties malades se dissout et pénètre les chairs, qui se délayent et forment un détritus qui s'amasse circulairement sur les bords de la petite excavation que l'on creuse ainsi. 11 arrive même souvent que la vive irritation occasionnée par la potasse détermine un afflux assez considérable de sérosité dans la plaie: cette sérosité venant à dissoudre trop vite le caustique, celui-ci peut couler au point de déterminer de larges et profondes eschares, suivies de difformités plus ou moins fâcheuses. Pour éviter ce grave inconvénient, j'ai soin d'essuyer avec un linge tenu de la main gauche les coulées de potasse dissoute, sitôt qu'elles se forment. Après une ou deux minutes, on a généralement atteint les parties les plus profondes de la tumeur, ce qui se reconnaît à un léger écoulement sanguin. La plaie ainsi obtenue est profonde de 4 à 5 millim., de forme conique, et comprend ce que j'appelle |347| la tumeur charbonneuse. Cette petite opération est assez douloureuse et ne doit pas toujours se borner au bouton malin: la cautérisation doit aussi atteindre les vésicules qui se sont développées plus ou moins loin de celui-ci. Je me contente alors de toucher légèrement la surface cutanée sur laquelle reposent ces vésicules, toutes les fois, bien entendu, qu'une portion de téguments sains les sépare de la pustule elle-même; car si elles touchent cette dernière, il est bien évident qu'il faut les comprendre dans la même destruction.
Quand j'ai lieu de craindre que quelques portions aient échappé à la cautérisation, et s'il n'y a pas à redouter la lésion de quelque organe important, je mets au fond de la petite plaie un morceau de potasse gros comme une forte tête d'épingle, ou comme une lentille, et je couvre le tout d'un morceau d'agaric bien moelleux que je maintiens à l'aide d'un bandage contentif simple, dans le cas où il n'y a que peu ou point de gonflement: dans le cas contraire, je fais appliquer sur la tumeur des compresses trempées dans une forte décoction de fleur de sureau, animée ou non, suivant les circonstances, d'eau-de-vie camphrée. Je me contente quelquefois, surtout l'hiver et lorsque la tuméfaction est médiocre, d'une couche de ouate.
Le lendemain de l'opération, l'eschare est noire, plate et déprimée, souvent l'agaric y adhère intimement, malgré les compresses de décoction de sureau. Cette eschare a envahi circulairement 2 ou 3 millim. de parties molles non détruites primitivement.
Si la tuméfaction n'existait pas ou si elle était modérée avant l'application du caustique, les parties noires et mortes se confondent le plus souvent, sans aucune ligne de démarcation, avec les parties vives, et au bout de quelques jours une croûte noire, sèche et peu épaisse se soulève d'abord sur les bords, puis se détache complètement, vers la troisième ou quatrième semaine, sans aucune trace de suppuration; il en résulte une cicatrice rouge, ordinairement un peu saillante, qui ne pâlit |348| qu'après plusieurs années. Quand l'eschare a 2 centim. au plus de diamètre, elle se détache rarement sans sécrétion de pus: il reste, par conséquent, après la séparation de celle-ci, une plaie plus ou moins bourgeonnante, qui ne demande d'autres soins que ceux appliqués à ces sortes de lésions, quelle qu'en soit la cause.
Dans les cas où le gonflement était assez prononcé et où déjà des symptômes généraux avaient apparu, on trouve presque toujours, le lendemain, que les parties mortes sont séparées des téguments sains par un bourrelet circulaire, continu, grisâtre, ridé, large de 1 ou 2 millim., peu saillant. On ne devra pas s'effrayer de l'apparition de ce bourrelet; et s'il n'existe pas au voisinage de vésicules isolées, on se contentera, quel que soit l'état général et local, de continuer les applications résolutives. Mais si des vésicules, groupées plus ou moins régulièrement au pourtour ou dans les environs de l'eschare, ont apparu de nouveau, il faudra les réprimer l'aide du caustique: on se contente de le promener à leur surface. Si, malgré cette nouvelle cautérisation, il s'en reformait encore, on les détruirait à mesure qu'elles se montreraient, à moins qu'il n'y ait amélioration des symptômes généraux. On peut alors se tranquilliser, elles ne tarderont pas à se flétrir. Bien que la cautérisation ait été pratiquée avec tout le soin possible, et d'assez bonne heure, il arrive fréquemment, surtout s'il existait déjà un gonflement assez fort, que la tuméfaction et les symptômes internes continuent à faire des progrès; j'ai même souvent observé que les accidents, dans ces cas (obs. 9 et 12), ne cessaient de marcher jusqu'au neuvième jour. Malgré cela, il est rare que les malades succombent. J'attribue cette augmentation du mal à ce qu'une certaine quantité de virus a été absorbée avant l'application du caustique. Il ne faudrait pas, sous prétexte d'atteindre ce principe virulent, produire d'énormes eschares qui n'auraient pour résultat que d'aggraver l'état local, puisque ces cautérisations |349| ne pourraient jamais détruire tous les tissus imprégnés, et surtout atteindre le virus absorbé; c'est pourquoi je me borne alors aux moyens que j'ai indiqués plus haut, c'est-à-dire à la destruction de toute la tumeur charbonneuse et à la répression des nouvelles phlyctènes à mesure de leur apparition. L'amélioration n'est pas toujours immédiate: fréquemment l'état du malade reste stationnaire pendant 36 ou 48 heures; bientôt on voit la tuméfaction diminuer de la circonférence au centre, les téguments se rident, parfois ils deviennent d'un rose plus ou moins vif, ce qui est toujours d'un bon augure; les vésicules se dessèchent, les points de la peau qu'elles occupent sont ordinairement jaunâtres, parfois ecchymosés; peu à peu tout rentre dans l'état naturel, excepté la plaie qui suppure le plus souvent et ne demande qu'un pansement simple. L'induration des parties centrales peut persister longtemps, je l'ai vue durer plusieurs mois.
Tel est le traitement externe ou local que je mets depuis longtemps en pratique, et qui m'a réussi constamment, lorsqu'il n'est pas appliqué trop tard; je l'ai même vu suivi de succès dans des cas presque désespérés. La préférence que je lui accorde sur la manière ordinaire d'appliquer le caustique est basée sur la certitude qu'on a de détruire le mal et rien que le mal, et de n'avoir que des cicatrices peu étendues, assez régulières, tout en agissant avec énergie. Lorsque dans le procédé habituel on abandonne le caustique sous un morceau de sparadrap ou un emplâtre quelconque, il peut se déplacer, couler plus on moins loin, et désorganiser les tissus sains, en laissant presque intacts ceux qu'il était important de détruire. Je préfère la potasse, parce que cet agent est facile à manier, se dissout vite, pénètre promptement les chairs et forme avec elles un détritus mou qui permet aisément de sonder la profondeur du mal.
Il y a beaucoup moins de danger qu'on ne pourrait le penser |350| à blesser telle ou telle partie importante, lorsque la pustule siège sur son trajet: en effet, quand le mal est récent, il suffit de cautériser l'épaisseur de la peau; s'il est déjà ancien, au contraire, les téguments s'éloignent des organes qu'il importe de ménager, et on peut pénétrer plus profondément avec sécurité, en prenant pourtant toutes les précautions convenables.
Mon intention n'est pas d'exposer ici tous les moyens particuliers qui ont été préconisés pour combattre l'affection charbonneuse, je dirai seulement un mot sur la ligature appliquée circulairement autour d'un membre quand celui-ci est le siège du mal. Je l'ai mise en usage une seule fois; le gonflement cessa, il est vrai, immédiatement et complètement au-dessus du lien; mais je fus bien vite obligé de couper celui-ci, le bras serait tombé en gangrène.
Quant aux agents que les charlatans emploient, ils consistent le plus souvent dans l'application de substances cathérétiques, il est vrai, mais presque toujours trop faibles ou mal dirigés. Ce sont habituellement des emplâtres d'ægyptiac saupoudrés de vert-de-gris, des acides plus ou moins concentrés, des décoctions astringentes de diverse nature, moyens dont l'effet est, on le conçoit, très-incertain. Ils y joignent souvent des pratiques plus ou moins ridicules et superstitieuses; quelques-uns même se bornent à ces dernières. Malgré cela, le vulgaire a malheureusement une confiance aveugle dans les recettes de ces empyriques
8).
L'absence de pustule ou de bouton dans l’œdème charbonneux des paupières rend le traitement local très-embarrassant; on ne peut guère appliquer, au début, que des décoctions fortement toniques et excitantes, telle que celle de kina concentré, animé d'eau-de-vie camphrée. Quand apparaissent les eschares, on doit cautériser avec la plus grande précaution, comme toujours. Au reste, lorsqu'on agit sur les paupières, les coulées de caustique devront surtout être surveillées, car elles |351| pourraient pénétrer dans l'œil et le léser gravement. Une fois j'ai réussi en promenant sur les paupières, dont le gonflement ne datait que de la veille, un crayon de nitrate d'argent fondu, imbibé d'eau. Dès le lendemain une rougeur de bon augure se montra sur les parties tuméfiées, et la guérison fut prompte. Les téguments ne se sphacélèrent pas, et il ne survint aucune difformité.
Il est rare qu'on puisse se contenter de moyens externes dans le traitement de la pustule maligne; les malades viennent presque toujours réclamer vos soins, lorsque déjà des symptômes généraux, même intenses, sont survenus. Il faut donc avoir recours à une médication interne.
Tous les auteurs ne sont pas d'accord sur les moyens médicaux proprement dits à employer dans cette affection. Les uns, y voyant une inflammation, préconisent la saignée et les sangsues pour la combattre; d'autres, également partisans des émissions sanguines, les considèrent comme propres à éliminer une partie du principe septique circulant avec le liquide. Avant d'aller plus loin, je dirai que rien ne me paraît si contraire à la cure de cette maladie que ces évacuations de sang, et je m'appuierai ici sur l'autorité pratique des Pinel, des Boyer, des Chaussier, etc. En effet, dans la pustule maligne arrivée à la seconde période, il y a bien de l'accélération du pouls, mais celui-ci, quoique plein et large, est mou et très-dépressible, le malade est d'une faiblesse extrême, tout annonce chez lui un état d'atonie complète, sous une écorce phlegmasique, si je puis m'exprimer ainsi. La raison n'exclurait-elle pas a priori l'emploi du plus énergique des débilitants, que l'expérience devrait le faire repousser; j'ai vu des malheureux atteints de charbons peu intenses succomber après une seule saignée. La seconde manière d'envisager l'action de cet agent thérapeutique me paraît beaucoup plus étrange. Quoi, sous prétexte de soustraire une certaine quantité de poison, on extrairait du corps le fluide vital, sans lequel l'organisme |352| ne pourrait combattre l'agent topique! Les sangsues ont môme un inconvénient particulier, c'est que leurs piqûres peuvent s'enflammer et devenir facilement gangréneuses: j'ai vu un cas de ce genre. Ainsi donc, à moins d'être aveuglé par de vaines théories ou d'avoir eu peu d'occasions de traiter cette affection, on rejettera comme très-nuisible toute déplétion sanguine, et ce sera même aux agents opposés qu'on devra nécessairement s'adresser, à moins que le cas ne soit des plus bénins.
Quand les symptômes généraux se bornent à du malaise, avec léger mal de tête, à de l'inappétence et un peu de faiblesse, je fais coucher le malade, je lui prescris une boisson rafraîchissante: limonade, eau de groseille, bouillon aux herbes, etc., quelques pédiluves, une diète légère, du bouillon, quelques fruits mûrs ou cuits, suivant la saison. Les accidents devenant plus intenses, le pouls étant petit, irrégulier, des vomissements, de l'oppression, des défaillances, du refroidissement aux extrémités, des sueurs froides, enfin tous les symptômes de la dernière phase de la seconde période se montrant, je mets en usage les toniques fixes ou diffusibles les plus actifs, tels que infusions chaudes de thé, de camomille, de tilleul, les décoctions de kina, de polygala, la limonade vineuse, le vin chaud sucré, aromatisé de citron ou de cannelle: on devra, dans l'emploi de ce dernier agent, éviter de produire l'ivresse; je fais prendre au malade, toutes les heures, une cuillerée à bouche d'une potion composée comme il suit: eau de cannelle, de menthe poivrée, 60 à 60 grammes; de fleur d'oranger, 12 grammes; esprit de Mindererus, 10 grammes; élixir de Garus et sirop de kina, de chaque, 20 à 30 grammes.
On ne donnera qu'un petite quantité de boisson à la fois, quand bien même il y aurait une soif très-vive; il vaudra mieux y revenir souvent. Les tisanes seront administrées chaudes. Outre ces boissons, les malades prendront des lavements de môme nature, avec addition de 1 gramme ou 2 de |353| camphre, ou d'autant de teinture de musc. Il est rare que j'en vienne aux vomitifs, les secousses qu'ils occasionnent me semblent très-nuisibles. Pourtant, lorsqu'il existe une gêne plus ou moins grande dans la déglutition et même dans la respiration, je n'hésite pas à les mettre en usage.
Il est presque inutile d'ajouter que ces moyens devront être variés suivant l'âge, le sexe et le tempérament des individus. On maintiendra une chaleur assez élevée autour du corps du malade. Des sinapismes seront promenés sur les extrémités inférieures et môme sur les supérieures.
Lorsque l'amélioration se manifeste, ce que l'on reconnait à une chaleur réactive plus ou moins forte, à la régularité du pouls, à la diminution de la soif, des vomissements et de tous les symptômes graves en général, il faut recourir aux boissons rafraîchissantes et éliminer peu à peu les médicaments toniques et excitants; enfin on arrive graduellement à une alimentation appropriée à l'état de la convalescence.