M. le vicomte de V..., vieillard de 79 ans, de petite stature, de constitution sèche, d'une grande régularité de vie depuis sa jeunesse, et ayant eu quelques légères douleurs ressemblant assez à de la goutte, fut pris, dans les dernières années de son existence, de quelques attaques de coliques néphrétiques fort intenses du côté droit, pendant lesquelles l'urine se supprimait entièrement. Je n'ai pas connaissance qu'il eût jamais rendu le plus petit gravier. Une crise plus cruelle encore que |
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La mort parut le résultat immédiat du défaut d'élimination des principes qui constituent la sécrétion rénale. Ainsi, outre les accidens propres à l'affection néphrétique, il survint une faiblesse extrême; des vomissemens de matières bilieuses porracées furent incessans; langue et dents fuligineuses; soif ardente; haleine fétide, sans odeur d'urine bien tranchée; pouls d'abord assez plein, quoique mou et de fréquence moyenne, puis de plus en plus vite et petit; miction absolument nulle, et pas d'envies d'uriner; pas ou peu d'évacuations alvines; sueurs froides, d'une odeur forte; hoquets; narines pulvérulentes; face hippocratique; lipothymies, subdélirium; puis enfin le malade s'éteint avec presque tous les symptômes de ce qu'on a appelé fièvre urineuse.
À l'autopsie, on trouve, à 6 ou 7 centimètres au-dessous du rein droit, l'uretère distendu par un calcul, de forme irrégulièrement pyramidale , à surface rugueuse, de couleur brunâtre, paraissant formé d'acide urique, et engagé par sa pointe; il pèse 5 grammes 1/2; au-dessus de lui, l'uretère a le diamètre du petit doigt, et est légèrement flexueux; il contient une urine trouble et d'odeur ammoniacale. Le rein droit, sans augmentation apparente de volume, a conservé toute sa texture; sa substance mamelonnée est assez fortement injectée. Le bassinet et le-calice sont d'une capacité au moins triple de ce qu'ils sont habituellement; leurs tuniques sont sensiblement épaissies, mais sans injection évidente; leur intérieur contient une urine trouble et renfermant quelques grains de sable de teinte rougeâtre; au-dessous du calcul engagé et fortement saisi, l'uretère présente son diamètre normal.
Le rein gauche est des plus sains, ainsi que l'uretère correspondant qui est perméable dans toute son étendue; et l'examen le plus attentif ne nous fait pas découvrir de ce côté la moindre parcelle calculeuse ni la plus petite trace d'inflammation.
La vessie, tout à fait vide et ratatinée, n'offre rien à noter de particulier.
Tous les autres viscères étaient dans un état d'intégrité complète.
Cet examen nécroscopique m'étonna singulièrement, car, bien qu'un des uretères fût devenu çomplétement imperméable, l'autre, ainsi que le rein auquel il répondait, n'offrait ni obstacle, ni lésion quelconque, et on sait, d'ailleurs, qu'en fait d'organes doubles, lorsque l'un cesse d'agir, l'autre, au contraire, augmente d'activité pour suppléer son congénère.
Dans l'observation que je viens de citer, on peut se poser plusieurs questions:
L'engagement du calcul rénal était-il ancien?
Pendant les deux ou trois coliques néphrétiques qui avaient précédé, l'anurie était-elle due à un obstacle semblable?
À quoi tenait la suppression absolue d'urine?
L'état du rein droit, celui du canal urétéral ne permettent guère de penser que la pierre fût descendue depuis longtemps.
Relativement à la seconde question, il semble rationnel de croire qu'une cause analogue a amené l'anurie absolue qui fut observée également dans les précédentes attaques, et cependant il n'y avait aucune pierre dans la vessie, et le malade ne m'a jamais dit en avoir rendu.
Enfin, il semble presque impossible de se rendre compte de la suppression de sécrétion urinaire, quand on considère l'intégrité de l'appareil rénal gauche. Y aurait-il eu alors sous l'influence de ce qui existait à droite, une violente perturbation des fonctions dans le rein sain qui eût suspendu complètement ses fonctions? C'est ce qu'on peut supposer d'après l'examen cadavérique. Cependant, je dois dire qu'aucun moyen ne fut négligé, ni par moi, ni par notre vénérable confrère Récamier, qui fut alors appelé comme consultant.
L'ingénieux moyen proposé par M. Gigon ne m'eût pas paru ici applicable, car il est probable qu'après l'ouverture de l'uretère obstrué on n'eût pas pour cela ramené la sécrétion urinaire, et on aurait encore augmenté la gravité du mal par une opération grave pratiquée chez un vieillard affaibli par une cruelle maladie.
Les cas semblables ou analogues à celui que je viens de citer doivent être fort rares; je ne me rappelle pas avoir jamais rien lu qui pût y ressembler; aussi je serais très heureux, si quelqu'un de mes confrères en possédait d'analogues, d'en avoir excité la publication.