Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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La vie de Jean de Montagu (1) Les ancêtres

Chronique du Vieux Marcoussy ————————————- _————————-Septembre 2009

Le prévôt de Paris ouvrant la foire du Lendit et Jean de Montagu conduit au supplice.

C. Julien

JP. Dagnot

« … Mais une fête qui eut de tristes conséquences fut celle que le grand-maître donna pour la réception de son frère Gérard de Montaigu, évêque de Poitiers, chancelier du duc de Berry, qui venait d'être pourvu de l'évêché de Paris. Ce fut la dernière des merveilleuses prospérités de Jean de Montaigu. Fils d'un notaire de Paris, anobli par le roi Jean en 1363, il avait d'abord obtenu la confiance de Charles V, et s'était successivement élevé au premier rang dans le royaume. Depuis plus de vingt ans il gouvernait tout en France, spécialement les finances. Sa fortune était devenue prodigieuse. Il possédait des terres considérables, et avait bâti le beau château de Marcoussis, qui surpassait les palais du roi… ». Voilà ce que tout un chacun peut lire sur Jean de Montagu dans l'Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois (1). Toute l'histoire du personnage est résumée en ces quelques mots ; il s'agit maintenant de développer les péripéties survenues au cours de la vie du plus prestigieux seigneur de Marcoussis.

Le propos de cette première chronique est de faire le point sur la famille de Jean de Montagu, grand-maître de l'hôtel du roi Charles VI et seigneur de Marcoussis de 1388 à 1409 (2). Plusieurs auteurs se sont intéressés à la généalogie de cette famille, mais, seul Guillaume Pijart, moine Célestin qui vécut à Marcoussis au XVIIe siècle, fut celui qui en donna une description aussi précise que possible.

En effet, la généalogie des Montaigu est mentionnée dans un manuscrit de Guillaume Pijart, prieur du monastère de Marcoussis, en 1656. Selon Fevret de Fontette, l'ouvrage de cet auteur, en deux volumes in-folio, aurait appartenu à la bibliothèque des Célestins de Marcoussis. Mais, il existe aux Archives nationales, série M de la section historique, un manuscrit de Guillaume Pijart, sur la famille de Montagu. Ce manuscrit est beaucoup moins complet que celui de Simon de la Motte , et n'est sans doute que l'ensemble des notes prises par le religieux Célestin pour rédiger son ouvrage in-folio. C'est de ce texte que nous avons extrait quelques détails qui ne se rencontrent ni dans Simon de la Motte , ni dans les chroniqueurs contemporains. Au XIXe siècle, Lucien Merlet écrivit une “ Biographie de Jean de Montagu, grand maître de France ”, à qui nous avons emprunté certains éléments (3).

Les ancêtres du Grand Maître

La branche directe de la famille de Montagu s'éteignit en 1415, quand, Charles, le seul représentant mâle fut tué à la bataille d'Azincourt. Tous les historiens jusqu'ici semblent avoir ignoré qu'elle était fort ancienne et fort illustre, si ancienne même et si illustre, que Charron dans son Histoire générale des Gaules la fait remonter jusqu'aux anciens rois de Bourgogne, successeurs de Charlemagne. C'est ce que nous apprend l'histoire manuscrite de Marcoussis, écrite, au XVIIe siècle, par le frère Simon de la Motte , sous-prieur du couvent des Célestins.

Déclarons en premier lieu que Montagu n'est pas le nom patronymique de cette maison ; c'est seulement un surnom. Les ancêtres du Grand Maître portaient le nom de « Le Gros » . Le surnom de Montagu fut pris par Robert le Gros, grand-père paternel de Jean II, dans un contrat d'acquisition de plusieurs pièces de vigne au terroir de Montfelis, de Nicolas Bourelier, demeurant à Etampes, en date de l'année 1340. Guillaume Pijard nous dit « Robert Le Gros, dit de Montagu à cause d'un fief de ce nom situé proche de Poissy en Laye qui a été confisqué au Roy sur Jean de Montagu… »

Or, les le Gros étaient originaires du Lyonnais, d'où ils se dispersèrent en Bourgogne, en Normandie, en Languedoc et jusqu'en Piémont. Le bienheureux Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, nous rapporte que, vers l'an 1104, un seigneur nommé Bernard le Gros, personnage illustre selon le siècle, possédait quelques châteaux proche le monastère de Cluny, parmi lesquels il en avait bâti un, appelé Usselle, d'où il se faisait craindre et redouter aux environs.

La famille de ce le Gros était dès lors si puissante en Bourgogne, qu'à la mort de ce même Pierre le Vénérable, elle parvint, en l'an 1157, à faire élire pour son successeur un certain Robert le Gros , frère lai, cousin, dit la chronique, de l'abbé Robert de Saint-Michel-du-Mont, du comte de Flandre, Thierri d'Alsace, et neveu de Gertrude, sœur de Guillaume, duc de Normandie. Robert le Gros, homme demi-laïc désigné au cours d'une élection tumultueuse, suscite d'emblée la contestation « …electione tumulturia intrusus iure ». Les électeurs de Robert seraient les moines de l'abbaye, « les claustrales de Cluny » qui furent sensibles à l'avantage d'avoir pour abbé un membre d'une importante famille seigneuriale voisine, qui a déjà donné à deux reprises un grand prieur à Cluny. Robert le Gros alla plaider sa cause auprès du pape Adrien IV, fut condamné et mourut durant son retour en France (4).

Dès cette époque, la famille le Gros avait, comme l'on voit, des alliances en Normandie. Plusieurs membres de cette maison s'y établirent, et ce fut l'on d'eux, Matthieu le Gros , seigneur d'Heudebouville, qui, l'an 1204, se porta auprès de Philippe-Auguste comme l'un des garants de la reddition de Rouen, quoique son frère Guillaume le Gros fût un des chevaliers exceptés de l'accord. Dans sa démonstration, Pijard cite d'autres personnages célèbres de cette famille, soit en Languedoc, soit eu Piémont; et, du reste, l'antiquité de la noblesse des le Gros est confirmée par une charte de Charles V, imprimée dans le livre de la vie du pape Clément IV par le Révérend Père Claude Clément, jésuite (Lyon, 1624.)

Table généalogique de la famille Montagu alias Le Gros.

Le grand-père Robert le Gros

Mais, pour ne pas remonter plus haut, nous disons seulement quelques mots de Robert le Gros, père de Gérard de Montagu (et non Godefroy comme l'a écrit Mézeray dans l'histoire de Charles VI), bourgeois de Paris, notaire et secrétaire du roi. Le premier document certain où nous rencontrons ce Robert est l'acte d'acquisition de 1340 dont nous avons parlé « lettre de vendition pour Robert le Gros par Nicolas le Bourrelier et Ysabel, sa femme des possessions de ladite Ysabel pour le prix de 48 livres », sur lequel le notaire inscrivit « Furent présents eu leurs personnes honorable homme Robert le Gros, dit de Montagu, bourgeois de Paris… ». Il semble que Robert le gros décéda vers 1358 quand son fils Gérard lui succéda dans ses fonctions dans l'administration du Trésor des chartes.

Robert le Gros avait fait acquisition du fief de Montagu,·château·situé près de Poissy-en-Laye. Ce seigneur possédait, en outre, les fiefs de Eaubonne et de la Motte en Parisis, de Tournenfuye-en-Brie (depuis Graville), de Moncontour-en-Poitou, de Valère-en-Touraine, de Châteauneuf-en-Berry, de Mézières-en-Beauce, et quelques autres terres.

Il se maria avec Madeleine de Maugiron qui lui donna deux fils : Gérard II de Montagu, qui lui succéda dans la plupart de ses fiefs et dans sa charge de secrétaire du roi, et Jean 1er de Montagu, seigneur de Garigny, marié à Isabelle de la Girarde dont il eut trois enfants : Pierre, Alipe et Nicolas. Ce Jean 1er de Montagu suivit au contraire la carrière parlementaire, où l'avait précédé son oncle Gérard 1er le Gros, chanoine des églises de Reims et de Paris, avocat général du roi au parlement et fondateur du collège de Laon. Le seigneur de Garigny mourut le 5 avril 1388.

Vers la fin de sa vie, suivant l'auteur des Éloges de Messieurs les présidents à mortier du parlement de Paris, Robert le Gros fut secrétaire du roi Charles V et trésorier de ses chartes. Ce fut lui, s'il faut en croire Simon de la Motte , qui quitta les anciennes armes des le Gros « d'or à une aigle déployée de sable, au bec et serres de gueules, à la bordure aussi de sable chargée de huit besants d'argent » pour prendre celles qui servirent désormais à la branche de Montagu « d'argent à une croix d'azur cantonnée de quatre aigles nu vol déployé de gueules becquées et membrées d'or ».

Revenons un moment aux affaires de messire Gérard 1er de Montagu, en latin « Gerardus de Monteacuto », oncle de Jean 1er de Montagu. Plusieurs actes le concernent :

• Un acte d'amortissement pour lhostel du Lion, signé en avril 1331.

• Un texte latin se rapportant à un accord de Gérard de Montagu, en janvier 1334.

• Le 11 janvier 1336, un bourgeois confesse avoir vendu une rente annuelle à mestre Girard de Montagu, chanoine de Paris, acheteur.

• Le testament de Girard de Montagu, advocat du roy, chanoine de Notre-Dame de Paris, est rédigé en latin, le 4 février 1339. En marge en français, il est mentionné la donation de l'hostel du lion d'or aux escoliers de Laon. Acquisition de ladite maison par Nicolas Colomiers, dit le Tournay, puis vendu à Girard de Montagu.

Gérard 1er de Montagu décéda peu après avoir fait son testament. Le 2 novembre 1342, une vente est faite par Guillaume de Brétigny à Monsieur de Sainte-Geneviève, de moitié d'une maison, « joignant une maison qui fut feu maistre Girard de Montagu, … que ce dernier a donné au collège l'ayant acheté des religieux, icelle maison peut être la rose rouge que ledit Girard a donné au collège ».

Les ancêtres maternels du Grand Maître

Du côté maternel, Jean II de Montagu descendait de la famille Cassinel, maison originaire d’Italie et l’une des plus anciennes de la ville de Lucques dont le plus ancien membre connu est Jean Cassinel, chevalier, père de Bethin Cassinel. Ce dernier s’installa en France avec son frère Sornard dès 1291. Ils étaient ce qu’on appelle «des banquiers Lombards ». Comme pour les Accorre, les Chauchat, la fortune extraordinaire de cette famille qui était appelée à jouer un rôle si considérable pendant trois siècles, commença avec lui.

Bethin Cassinel devint, en 1297, monnayeur du roi Philippe le Bel dont il reçut la châtellenie de Galargues en Languedoc et qui le fit chevalier de son Ordre. Il mourut à Paris le 18 octobre 1312. Il avait épousé Jeanne Garnier dont il eut trois enfants : 1° Guillaume 1er, chevalier, 2° Jean, seigneur de Galargues et chevalier-bachelier sous le gouvernement du duc de Bourgogne et 3° Guyotte dont on ignore la destinée.Guillaume 1er Cassinel eut deux fils : 1° François qui servit le roi Philippe VI de Valois en qualité de sergent d’armes et mourut à Paris le 23 octobre 1360 et inhumé avec ses proches parents dans l’église Sainte-Catherine du Val-des-Ecoliers, et 2° Simon, dit Torcol, mort sans lignée en 1369.

Dès sa jeunesse, Gérard de Montagu avait pris alliance dans la famille Cassinel, en épousant damoiselle Biette (Biote) Cassinel, dite « la belle Italienne ». Elle était la fille de François Cassinel, chevalier et d'Alips Deschamps, dame de Pomponne. Biette Cassinel eut cinq frères : 1° l'aîné Guillaume II, seigneur de Romainville, de Ver et de Pomponne, vidame de Laonnais, grand échanson de Charles VI ; 2° Guy, religieux du prieuré Saint-Martin des Champs ; 3° Ferry, co-seigneur et baron de Galargues, puis seigneur de Marcoussis et de La Ronce, évêque de Lodève en 1384, puis transféré à Auxerre, et depuis novembre 1389 archevêque-duc de Reims et premier pair de France ; 4° Bertrand, chantre et chanoine de l'église d'Auxerre ; et 5° Jean, chevalier des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

La chevalerie des Montagu

Le titre de noblesse des Montagu semble avoir été discuté après la mort du Grand-Maître, car à cette époque le châtiment suprême n'était pas exécuté de la même manière pour les nobles ou les roturiers. Jean de Montagu eut la tête tranchée, châtiment réservé aux chevaliers ou écuyers. Jean de Montagu eut la tête tranchée, châtiment réservé aux chevaliers ou écuyers. À ce propos, Pijard nous dit « Quelques uns sont mal fondés pour vouloir ruiner l'ancienne noblesse des Le Gros, de dire que ce Robert estoit bourgeois de Paris, d'autant que cette qualité convient esgalement aux nobles et aux roturiers. Il me seroit fort aisé pour appuier mon dire, d'alléguer plusieurs exemples des familles dont la noblesse est incontestable… »

C'est le chroniqueur Enguerran de Monstrelet qui sema le doute sur la qualité de gentilhomme et l'infériorité de noblesse de Jean de Montagu. Il faut dire que l'homme était un chaud partisan du duc de Bourgogne. Ainsi dans son rapport Monstrelet (volume I, chap. 57, page 91), désigne Jean de Montagu , surintendant des Finances sous Charles VI, « natif de Paris, et qui eut la teste tranchée, étoit noble et gentilhomme de par sa mère. Ledit Montagu était né de la ville de Parts, et avoit été paravant secrétaire du Roy, et fils de mestre Girard de Montagu , jadis secrétaire du Roy Charles le Riche dernier trépassé. Si étoit gentilhome de par sa mère &c. ».

Le roi Charles V fut peut-être le premier qui donna atteinte à la noblesse de par les mères, en statuant par son ordonnance du 15 novembre 1370, que ces sortes de nobles seraient sujets au droit de francs-fiefs. Voici les termes de l'ordonnance adressée au sénéchal de Beaucaire, qui est une preuve que cette noblesse était anciennement reconnue par tout le royaume. « Item innobiles descendentes a patre innobili & matre nobili pro rebus feodo aut retrofeodo sibi deventis, & per ipsos acquisitis, & acquirendis ex successione eorum matris nobilis & aliorum collateralium ejusdem matris, aut aliter a nobili, solvent financiam, quam exigatis & quæratis ut supra ». Cette ordonnance a été enregistrée en la Chambre des Comptes de Paris (5).

C'est Jean Porcher qui discuta la dignité de chevalier conférée à Girard II le Gros par le roi Charles VI. Le garde des Archives royales avait été anobli par Jean le Bon, alors qu'il n'était encore que secrétaire et notaire du roi, par lettres données à Amiens en décembre 1363. Ces lettres lui octroyant la faculté de parvenir à la chevalerie : en dépit des services rendus et de la bienveillance royale. Il dut attendre celle-ci près de vingt-huit ans, et ce ne fut que le 30 mars 1391 qu'il l'obtint.

Voici le texte du mandement aux conseillers de la Cour des Aides par lequel Charles VI fait don au trésorier de ses privilèges, chartes et registres d'une somme de 2.000 francs d'or pour l'aider à tenir un état conforme à la nouvelle dignité qui devait lui être conférée le lendemain. Gérard de Montagu ne put en jouir longtemps, étant mort quelques semaines plus tard, le 15 juillet 1391. « Charles par la grâce de Dieu Roy de France. A noz amez et feaux les generaulx conseilliers sur le fait des aides ordonnées pour la guerre salut et dileccion. Savoir vous faisons que nous aians en consideracion et mémoire les bons, agréables et proufitables services que nostre amé et feal conseillier et maistre de la chambre de noz comptes maistre Girart de Montagu nostre secretaire et trésorier de noz privileiges, chartres et registres a fais loyaument et longuement ou temps passé tant à noz treschers seigneurs ayeul et père dont Dieux ait les ames comme à nous, fait encores à nous chascun jour et attendons que fera ou temps avenir, et afin que ycelui maistre Girart, lequel nous entendons demain faire chevalier, ait mieulx de quoy tenir son estat, et pour certaines autres causes et consideracions qui à ce nous meuvent, à ycelui maistre Girart avons donné et donnons de grâce especial par ces présentes la somme de deux mille frans d'or à les avoir et prendre pour une fois de et sur les deniers desdiz aides. Si vous mandons que par le général receveur d'iceulx aides vous faictes bailler et délivrer ladicte somme de deux mille frans audit maistre Gerart ou à son certain commandement et par rapportant ces présentes et quittance sur ce de ycellui maistre Girart nous voulons ycelle somme de II m francs estre allouée es comptes et rabatue de la recepte dudit général receveur par noz amez et feaulx gens de noz diz comptes à Paris, sans aucun contredit, non obstans quelzconques autres dons, grâces ou biens de par noz diz seigneurs ayol et père ou par nous autrefois faiz à ycellui maistre Girart, gaiges ou pensions qu'il ait on prengne de nous à cause de ses diz offices ou autrement non exprimez en ces présentes avec ordenances, mandemens ou defenses à ce contraires. Donné à Paris, le XXIXe jour de mars après Pasques, l'an de grâce mil CCC iiii x et onze et le xj e de nostre règne.

Par le Roy en son conseil. DAUNOY ».

Nous ignorons le doute qui s'était installé par la suite, après la décision des commissaires d'octobre 1409. Il est certain que l'attribution des bénéfices épiscopaux, comme l'archevêché de Sens ou l'évêché de Paris, attribués aux frères de Jean II de Montagu, ne pourrait l'être qu'à des personnages au titre nobiliaire. L'acte donné le 29 mars 1391 ne pouvait pas être remis en cause.

Couverture du manuscrit de Guillaume Pijart (1656).

Les parents du Grand Maître

Gérard (ou Girard), le père du Grand Maître était le fils aîné de Robert le Gros. Il s'éleva rapidement à la cour de Charles V, qui sut bien vite apprécier son esprit judicieux et sensé. Le mariage de Gérard de Montagu et Biette Cassinel est antérieur à l'année 1336 ; car on voit alors les deux époux fonder de concert la chapelle Saint-Michel en la nef de l'église Sainte-Croix de la Bretonnerie à Paris où ils furent inhumés.

Ainsi, en l'année 1358, il fut nommé par Charles, alors dauphin et régent du royaume, premier syndic de l'illustre collège des notaires et secrétaires du roi, maison et cour de France.

Le roi Charles V avait donné sa place à Gérard de Montagu, bourgeois de Paris, anobli par le roi Jean en 1363, notaire et secrétaire du roi depuis 1358, et travaillant au Trésor des Chartes dès 1364, dont il parait avoir eu la garde pendant quelque temps par intérim. En cette année, maître Gérard de Montagu est qualifié de notaire et secrétaire du roi, garde des Chartes et privilèges « Magister Gerardus de Monte-Acuto, notarius regis et noviter factus secretarius ac custos cartarum et privilegiorum domini regis loco… ».

Montagu se serait attiré l'affection du prince en lui présentant les instructions que Saint-Louis avaient laissées nominalement à son fils Philippe et tacitement à ses successeurs « In archivis Caroli V, reperta est cartula praeceptorum quae hic divus rex filio primogenito, dum Thunisium obsidebat, dictavit et scripsit n ; quam ex Caroli thesauro receptam, Gerardus de Monte-Acuto, regius scriba, carolo exhibuit, anno sulutis 1364 ». Ce qui signifie « On a trouvé dans les archives de Charles V le document contenant les préceptes que le saint roi dicta et fit écrire pour son fils aîné tandis qu'il siégeait à Tunis. Et Gérard de Montagu, secrétaire du roi, montra ce texte ainsi extrait du trésor du roi à Charles, l'an du salut 1364 » ; comme l'ensemble est plein de salutaire discipline, voici comment je l'ai traduit du latin.

Gérard de Montagu fut nommé maître des comptes extraordinaires le 3 juin 1384 où il en fut désappointé le 1 er mars 1388 « Et pour que notre amé et feal secrétaire messire Girard de Montagu, garde de nos chartes et privilèges, estoit, par avant nostre présente ordonnance, en la Chambre des Comptes, aux gages dudit office de secrétaire, il nous plaist et voulons que ledit messire Girard y demeure, ainsi qu'il estoit devant ». Gérard de Montagu père exerça les fonctions de trésorier du trésor des chartes jusqu'en 1391.

En tant que garde du Trésor des Chartes royales, Gérard de Montagu exécuta un travail considérable en produisant un répertoire alphabétique des principales matières contenues dans les chartes originales déposées au trésor, et une liste descriptive des registres. Dès mars 1371, presque aussitôt après sa nomination, Gérard de Montagu avait exécuté un répertoire d'inventaire du Trésor de Charles V, contenant 400 articles, avec une préface sommaire « … extractumque de precepto regis Karoli nunc regnatis de antiquis repertoriis seu inventariis, rotulis aut registris per aliquos predecessores meos custodes hujus Thesauri compositis per me Gerardum de Monteacuto, anno Domini MCCC septuagesimo, mense marcii ».

Plusieurs actes concourent ainsi à prouver que Gérard de Montagu le père ne mourut qu'à la fin du mois de juillet 1391 et non en 1380 comme l'a prétendu Merlet. Il existe à la Bibliothèque nationale deux quittances de Gérard de Montagu père, signées de sa main, constatant qu'en 1391 Charles VI lui avait fait don de 2.000 francs pour aider au mariage de Johanna, sa fille.

Le nom de Gérard de Montagu est resté attaché aux catalogues et registres des chartes et layettes royales de la fin du XIVe siècle. Il y eut deux gardes du Trésor des Chartes du nom de Montagu : Montagu père dit l'ancien, de 1370 à 1391, et Montagu fils dit le jeune de 1391 à 1400. Une des pièces du Trésor étant du 27 novembre 1375, on peut en conclure que le recueil a été fait entre 1375 et 1400. Le paraphe de Gérard de Montagu port les mots « S. Gerardi de Monte Acuto, clerici ». Or, dès l'an 1375, Gérard de Montagu le père n'était plus clerc du Trésor des chartes ; il en était le garde, « custor ». Ce paraphe serait donc celui de Montagu le fils, clerc du Trésor pendant que son père en était le garde.

Parmi les 1.174 volumes qui étaient rangés au Louvre, certains livres n'appartenaient pas au roi, puisque Charles V, dans une décharge donnée le 21 avril 1372 au garde du trésor des chartes, Gérard de Montagu, s'exprime en ces termes « Cy s'ensuivent les livres desdiz juyfs, que noue avons retenus par devers nous, pour mettre en nostre librairie… ». Les catalogues de cette époque sont muets sur la présence de ces ouvrages hébreux.

Lucien Merlet fait mourir Gérard, le père du grand maître, en 1380, en s'appuyant sur des épitaphes contenues dans l'église de Sainte-Croix de la Bretonnerie. Il s'agirait d'une mauvaise traduction de Dubreuil reprise plus tard par cet auteur. « Cy gist noble homme Messire Gérard, seigneur de Montagu, chevalier, conseiller et chambellan du roy nostre sire, fondateur de cette chapelle, qui trespassa le xvij jour de septembre 1380 ». Alors que la mort la femme de Gérard semble exacte « Cy gist noble dame Madame Biette de Cassinel, dame de Montagu, femme dudit messire Gèrard, laquelle trespassa l'an 1394 ». Cette date réfute victorieusement l'opinion du Père Anselme, qui fait Gérard trésorier et garde des chartes en 1383, puis maître des comptes extraordinaires en 1384, et donne sa mort le 15 juillet 1391. La date de 1380 est évidemment altérée, car, un mémoire décrit par Dessalles mentionne que Gérard fut nommé le 3 juin 1384 maître-lay surnuméraire des comptes, et occupa cette place jusqu'au 1 er mars 1388.

Après Gérard II de Montagu père, la garde du trésor des chartes fut confiée au second de ses fils qui portait le même prénom et était à cette époque chanoine et archidiacre de l'église de Cambrai. Gérard III fut fait maître extraordinaire de la Chambre des comptes dès le 10 octobre 1390 et resta dans cette charge jusqu'au 29 mai 1392. Il fut mis en possession des clefs du trésor le 18 octobre 1391.

Dans ces postes éminents, Gérard de Montagu travailla sans cesse à augmenter la fortune de sa famille: ainsi il acheta, vers l'an 1362, les terres et seigneuries de Malesherbes-sur-Yèvre et de Neufchâtel-en-Berry, et il continua à faire des acquisitions au terroir de Montfelis. Le 13 mai 1362, nous trouvons l'achat par honorable homme et saige maistre Girart de Montagu, clerc du roy et Biette, sa feme, ung arpen à Montflis pour 8 livres. Une autre vente est faite le même jour par la veuve Gignau.

Quelques semaines plus tard, le 4 juin, maistre Girard de Montagu, clerc du roy, acquiert « lostel ou manoir de Souzy pour 21 livres ». Puis le 4 décembre 1365, « l'achat par honorable home et saige maistre Girard de Montagu, clerc du roy nostre sire, et à damoiselle Byete sa feme, à Martin de Ribertpré, chappelain perpétuel de la Sainte-Chapelle du palais royal à Paris, lostel de Valsalmon qui fut à Jehan Bellefemme …. en foy et homage de lospital à ung esperon dor pour le rachat, moyennant 80 francs dor ». Ledit Rubertpré avait fait l'acquisition de la veuve Bellefemme le 28 février 1365.

Le 12 mars 1367, les exécuteurs testamentaires de Jehan Caron dit de Montablon jadis chanoine de Saint-Denis du Past, vendirent à Girard de Montagu, clerc notaire du roy, et à damoiselle Byette sa femme, les biens dudit Montablon « dont un manoir à Villeconin »… pour le prix de 90 livres.

D'autres biens furent acquis par la suite : le 14 mars 1368, acquisition par Girard de Montagu de 66 sols de cens près de Souzy. Le 30 novembre 1369, achat de 9 arpens à maistre Girard de Montagu à Souzy pour 14 livres. Le 4 décembre 1370, achat d'un bien à Valsalmont par Girard de Montagu pour 80 francs d'or. Le 26 août 1374, vente à Girard de Montagu, secrétaire du roy, d'une maison à Valsalmont.

Un autre acte cité par Pijart porte que « Girard de Montagu, conseiller et secrétaire du Poy et demoiselle Biette sa femme, ont acheté de Jean et Nicolas Gnochit ou Gnouchit frères, un hostel qu'ils se disoient avoir assis à Souzy pour le prix de 40 francs d'or de chacun 28 sols parisis, l'an de grâce 1388, le dimanche 7 e jour du mois de février, pardevant Girard Acart et Jean Loque, notaires à Paris ». Cet achat démontre une nouvelle fois que l'inscription de l'épitaphe comporte une erreur manifeste. D'ailleurs, notre moine Célestin précise que dans la chapelle Saint Michel où les époux Montagu avaient été inhumés, « les tombeaux ne paroissent plus à présen, ladite chapelle ayant changé de face au grand regret des descendants ».

Écu des époux Montagu-Cassinel selon Guillaume Pijard.

Un bruit injurieux

Nous ignorons la date exacte de la naissance du Grand maître, Jehan II de Montagu. Il serait né au plus tard en l'année 1349 ou 1350. On sait de plus qu'il eut pour parrain le prince Jean, futur roi Jean deuxième du nom, dit le Bon , alors que ce prince n'était encore que duc de Normandie. C'est donc avant le 22 août 1350, date de son couronnement, que ce prince le porta sur les fonts baptismaux.

Cette date de naissance, qu'on pourrait croire tout d'abord assez indifférente, ne laisse pas que d'avoir une certaine importance; car elle répond à un bruit injurieux qui courut lors de la disgrâce du Grand maître. On prétendit que sa grande fortune était due à ce qu'il était le fils naturel de Charles V. Cette thèse a été repoussée par l'historien Lucien Merlet. Nous abandonnons les autres propositions qui s'opposent à « l'Art de Vérifier les dates » en donnant la naissance de Jean de Montagu en 1363 alors que sa mère Biette Cassinel serait née vers 1340.

Or, le roi Charles V naquit le 21 janvier 1336 (1337 n. s.), et il résulte d'un contrat d'acquisition de Jean de Montagu que celui-ci était déjà majeur le 31 octobre 1366. Ainsi Charles V n'avait que douze ou treize ans lors de la naissance du Grand maître. Simon de la Motte met la naissance de Jean de Montagu en l'année 1340 ou 1341; mais je crois que c'est une erreur, car pour que les contemporains aient avancé que Jean était fils de Charles V, il fallait au moins qu'il y eût à ce reproche quelque vraisemblance : on peut reculer la date d'une naissance de trois ou quatre ans, mais de treize ou quatorze ans, c'est plus difficile.

Quoi qu'il en soit, si Jean de Montagu n'est pas le fils de Charles V, on ne peut nier que la beauté de Biette de Cassinel n'ait été pour quelque chose dans la grande fortune de son mari et de son fils. Il est probable que cette dame fit servir au profit de son ambition l'amour qu'elle était parvenue il inspirer au dauphin Charles, malgré la différence d'âge qui les séparait. Toujours est-il certain que celui-ci afficha publiquement cet amour, en faisant représenter sur ses armes, suivant la galanterie du temps, un rébus de Cassinel, qui était un K, un cygne et une aile ; galanterie reproduite depuis par Louis, duc de Guyenne et dauphin de France, qui, en l'an 1414, fit peindre le même rébus sur sa cornette en l'honneur de sa maîtresse.

Selon ce qu'écrivit Christine de Pisan dans son Livre du Corps de Policie , depuis Charles V, les jeunes princes étaient tentés par la vie de Cour et les plaisirs de la chair (p. 51) « très vituperable par especial en prince, et peut estre cause du decheement de sa prospérité ». Ainsi, Louis de France, dauphin et duc de Guienne, fils de Charles VI négligeait sa femme pour vivre un adultère avec la nommée La Cassinelle . Dans les notices obituaires et une lettre des échevins parisiens à ceux de Noyon, il semble que ce prince était obèse et de santé déclinante, signes de sa débauche et ses excès « son corps estoit en très grand péril et dangier d'entrer et cheoir en débilité et feblesse de maladie ».

Dans ses écrits, Pannier suggère que la réhabilitation de la mémoire de Jean de Montagu, en 1412, aurait été motivée en partie par l'influence de la maîtresse du dauphin « la Cassinelle était la nièce, ou au moins, la petit-nièce de Biette Cassinel, mère de Jean de Montagu… On peut d'après cela supposer que c'est grâce à l'influence de la favorite et de sa famille que la mémoire de Jean de Montagu fut réhabilitée ».

Ainsi, en 1414, Juvénal des Ursins indique clairement cette relation « Et estoit monseigneur le Dauphin joly, et avoit un moult bel estendart, tout battu à or, où avoit un K, un signe et une L. La cause estoit, pource qu'il avoit une damoiselle moult belle en l'hostel de la Reyne , fille de messire Guillaume Cassinel, laquelle vulgairement on nommoit la Cassinelle. Si elle estoit belle, elle estoit aussi très-bonne, et en avoit la renommée. De laquelle, comme on disoit, ledit seigneur faisoit le passionné, et pource portoit-il ledit mot » (6).

À suivre …

Notes

(1) A. de Barante, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois , 1364-1477 (Furne et Cie, Paris 1842), p. 269.

(2) La terre de Marcoussis avait été dévolue par saisie féodale au roi Charles VI. Elle fut échangée le 9 février 1386 à Ferry Cassinel, évêque d'Auxerre, contre le « châtel et ville de Gallargues assis en la baronnie de Lunel en Languedoc » que le roi donna aussitôt à sa sœur Catherine de France, comtesse de Montpensier, en déduction de ce qui pouvait lui revenir de son mariage. Ferry Cassinel se mit en possession de la seigneurie de Marcoussis « à la charge réciproque d'égaliser les revenus et rentes si elles se trouvoient l'une de l'autre dissemblables » par acte passé devant Jean Maugier et Vinvent Chaou, notaires au Châtelet de Paris. L'évêque d'Auxerre donna, le 30 novembre 1388, tous ses biens de Marcoussis à son neveu, Jean de Montagu. La donation fut approuvée par le roi le 21 mai 1389 et, par un vidimus du 9 septembre, Charles VI confirmait la donation accompagnée d'une rente de 80 livres tournois à cause de la clause de compensation provenant de l'échange de la seigneurie de Gallargues.

(3) Lucien Merlet, Biographie de Jean de Montagu, grand maître de France (1350-1409) , dans Bibliothèque de l'Ecole des chartes, année 1852, volume 13, numéro 13, pp. 248-284.

(4) L'abbé Robert le Gros est inscrit au nécrologe de Saint-Martin des Champs, le 12 novembre.

(5) Les enfants d'un père roturier et d'une mère noble sont déchargés des droits de succession exigés pour les biens féodaux et non féodaux présents et avenir et pour ceux acquis du côté maternel.

(6) Il s'agissait de Gérarde Cassinel, dite La Cassinelle , était fille d'honneur de la reine Isabeau de Bavière et fut la maîtresse du second dauphin Louis, duc de Guienne. Elle était la fille de Guillaume III Cassinel, seigneur de Pomponne, de Ver, de Romainville, et de Marie de Joui. Gérarde était donc la petite-nièce de Jean de Montagu du chef de sa femme Biette.

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