Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Le prieuré Notre-Dame de Longpont (IV). Chartes relatives au Gâtinais

Chronique du Vieux Marcoussy ———————————————————————-Janvier 2010

mmm———————- _—————————— C.Julien

Cette chronique est la quatrième de la série des textes qui présentent les chartes du prieuré Notre-Dame de Longpont « ecclesia sancte Marie de Longo Ponte » dont certaines sont inédites. Il s'agit d'actes concernant des biens à Milly-en-Gâtinais et alentours, « Milliacum, Milleium, Mileium, Miliacum », de nos jours Milly-la-Forêt (ch.-l. cant., Essonne).

Les possessions du Gâtinais

Les quatre chartes exposées dans cette partie sont relatives à des donations de biens situés dans le Gâtinais septentrional. En effet, les moines de Longpont ont reçu de nombreuses libéralités de la part des nobles de Milly et des environs. Ce sont par ordre chronologique :

dès 1064, du temps du prieur Robert, Gautier Castel et Sanceline, sa femme, donnèrent le moulin de Crochet « molendinum de Crocheto », propriété d'une revenu considérable qui fut un puissant instrument de banalité situé sur la rivière Essonne (charte CCCXIII du premier cartulaire ).

au commencement du XIIe siècle, Tescelin, fils de Foulques de Buno approuva la donation faite par le vicomte Aymon, de deux arpents de prés à Buno-Bonnevaux (charte LXXV du premier cartulaire ). vers 1175, Guillaume de Milly, prenant le froc de moine à Longpont, constitue sa dot en léguant une terre dans laquelle est située la maison de Milly, un pré et une vigne. Ce bien deviendra un prieuré secondaire du réseau région dont Longpont était le chef (charte XVIII du premier cartulaire). en 1201, Adèle de Champagne, reine-mère dont la prévôté de Melun constitue son douaire donne une lettre relative à une quittance reçue par l'église de Longpont du juif Salomon créancier du prieuré (charte LXXI du second cartulaire) .

Bien d'autres biens localisés dans le Gâtinais furent reçus par le prieuré de Longpont. Citons par exemple la donation faite au commencement du XIIe siècle : obtenant l'approbation de sa femme Élisabeth, de ses fils Foulques, Daimbert, Bernoale, Théodore, Gautier, et de ses filles Adèle et Gibeline, le chevalier Adam de Milly fit une libéralité pieuse au couvent de Longpont en pensant à son salut, « Adam de Milliaco, pro anima sua, dedit Deo et sancte Marie de Longo Ponte, et monachis ejusdem loci ». Il s'agissait de toute la terre et le bois qu'il possédait à Villiers et une hostise à Milly tenue par le nommé Girold « totam terram et silvam quam habebat apud Villerium, et unum hospitem, Giroldum nomine, apud Milliacum, cum omnibus suis » (charte CCXCI).

Le legs de la famille Le Riche

La première charte concerne le legs de biens immobiliers et de droits féodaux qui étaient dans le patrimoine d'une demoiselle Le Riche dont les ancêtres étaient implantés à Etampes « apud Stampas ». C'est la première charte qui donne le prieuré de Longpont possessionné en pays du Gâtinais.

Voici la charte transcrite par Jules Marion sous le numéro CCCXIII.

« Gualterius Castellus & Sancelina, uxor ejus, ex cujus patrimonio erat, dederunt Deo & sancte Marie de Longo Ponte, & monachis ejusdem loci, hoc quod habebant apud Stampas, in alodio Ursi Divitis, patris Theudonis, videlicet octavam partem tocius terre, culte & inculte, nemoris, hospitum, census, paagii, roagii, molendini de Crocheto. Hujus autem doni ita facti audientes & videntes testes sunt hii: idem Galterius & eadem Sancelina, qui donum fecerunt; Robertus, prior; Ansoldus ; Mainerius; Lucianus; Arembertus; Joslenus; Balduinus; Salomon; Heinricus; Bernardus; Joslenus ».

Bien qu'ayant un numéro élevé dans le Cartulaire (I) de Longpont, elle apparaît presque à la fin du manuscrit du XIIIe siècle. Marion donne la date de 1064, c'est-à-dire que cette donation aurait été faite peu de temps après la fondation du prieuré. Elle se rapporte à une terre allodiale d'Ours Le Riche comprenant huit pièces de terre défrichée, cultivée et inculte, de broussailles, avec une hostise, un droit censuel, une ferme agricole et un bois, plus, le moulin de Crochet à Boigneville . Notons que « alodium » est un alleu ou franc-alleu, c'est-à-dire un héritage libre de tous droits féodaux et notamment les lods et vente payés lors de mutations ; « tocium », ce mot est formé sur la même racine préceltique que “ toc ” et “ stock ”, il signifierait souche à l'origine. Ce peut être une réserve de bois entre deux défrichements, ou un petit bois de haute futaie, ou une terre défrichée. [ tosche , en vieux français], terre boisée.

Les donateurs sont Gautier Château et sa femme Sanceline. Comme il est d'usage les donataires sont cités comme étant Dieu, Sainte-Marie de Longpont et les moines de ce lieu. Bien qu'il ne le soit pas précisé, il semble que cette dame fasse partie de la famille Le Riche. Les époux Château donne un ensemble de fiefs qui venait d'Urfi Divitis, père de Theudon « Ursi Divitis, patris Theudonis » .

Les membres de la famille Le Riche sont cités parmi les seigneurs depuis le VIIe dans la région parisienne avec des origines franques : mérovingiennes et carolingiennes (1) . Dans ses multiples études de cartulaires, Joseph Depoin a décrit l'ascension de cette famille à travers les alliances sous les premiers Capétiens et les lignages de cette famille dont on trouve des tiges dans l'Étampois, le Hurepoix, le Vexin, le pays Chartrain, le Haut-Vendômois et le Gâtinais. Guarin Le Riche, vicomte de Paris, assassiné en 676, est le chef d'une lignée dont on trouve Lisiard, seigneur de Sceaux-en-Gâtinais, Ansoud 1er, mort à Dourdan en 956, marié à Raingarde de Dijon, ancienne maîtresse de Hugues le Grand, duc de France. Ces derniers furent les parents d'Ansoud ou Ansold II, conseiller de régence du roi Robert II, époux de Reitrude, donateurs de nombreux domaines à Nozay et Marcoussis au profit du prieuré parisien de Saint-Denis de la Châtre. Vers 985, Lisiard, archidiacre puis évêque de Paris possède des domaines à Andrésy, Orly, Chevilly, l'Haÿ, Chatenay, Bagneux, et autres lieux, tandis qu'Etienne Le Riche, prévôt de Paris souscrit un diplôme de sauvegarde à Saint-Martin de Pontoise, vers 1069 (2) .

La famille Château était essentiellement possessionnée à Orsay. Plusieurs chartes concernent des libéralités pieuses faites au prieuré de ces seigneurs. Gautier est un familier du monastère de Longpont. Nous le trouvons témoin de la charte XLVIII, vers 1070, quand Guy 1er de Montlhéry, devenu veuf, prend les habits de moine à Longpont en donnant le moulin de Grotteau. Le plus prestigieux de la famille Château est Milon qui, sur ses vieux jours « abandonna le siècle pour prier à Longpont », en 1090. Plus tard, un descendant nommé Robert Castel donne tout ce qu'il possède à Pecqueuse, tant en terres labourables, forêts, prés, four à ban, que censives à l'église de Longpont avec le consentement du comte d'Evreux, seigneur duquel les biens étaient dans la mouvance.

Le scribe de Longpont ne précise pas le lien de parenté entre Sanceline et Ours le Riche. Ce dernier est qualifié « patris Theudonis » ou Thion II, chevalier d'Etampes cité en 1082 et 1085. Ours ou Orson est le fils de Thion 1er de Paris, chevalier de Corbeil et d'Etampes, prévôt de Paris en 1032, lui-même est l'un des fils d'Ansoud II et de Reitrude. Il est raisonnable de donner la filiation entre Ours et Sanceline. Cette dernière disposant de sa part d'héritage, donna son patrimoine en accord avec son mari Gautier.

Parmi les présents lors de la cérémonie de donation à l'église de Longpont, l'acte nomme les donateurs Gautier et sa femme Sanceline, Robert, premier prieur conventuel de N.-D. de Longpont, et d'autres personnages Ansold, Mainier, Lucien, Arembert, Joslin, Baudouin, Salomon, Henri, Bernard et Joslin, dont on ne connaît pas la qualité mais qui pourraient être les moines profès.

Le pré de Buno-Bonnevaux

La seconde charte qui nous concerne a pour objet la confirmation d'un legs de deux arpents de prés à Buno-Bonnevaux donné vers 1100. En nommant Foulques de Buno, le scribe mentionne le hameau de « Bunum », autrefois Buno-Château, qui, depuis 1794, constitue la commune de Buno-Bonnevaux (cant. de Milly-la-Forêt, Essonne).

La charte LXXV transcrite par Marion est assez courte.

« Tescelinus, filius Fulconis de Buno, concessit Deo & sancte Marie de Longo Ponte, & monachis ejusdem loci, duos arpennos pratorum, quos Aymo, vicecomes, patruus suus, predictis monachis dederat, & in manu Heinrici, prioris, donum misit, apud Montem Lethericum. Quod viderunt & audierunt hii testes : Burchardus de Maci ; Sultanus, filius ejus ; Milo de Linais ; Guido Pinellus ; Hugo Guirredus ; Rogerius, cognomento Paganus, de Sancto Yonio ; Hugo Chamilli ».

Ce qui peut être traduire par : « Tescelin, fils de Foulques de Buno consentit à Dieu, à Sainte Marie de Longpont et aux moines de ce lieu, deux arpents de prés que le vicomte Aymon, leur père donna aux susdits moines. Il déposa cet acte dans la main du prieur Henri, à Montlhéry. les témoins qui ont vu et entendu cela : Bouchard de Massy ; Sultan, son fils ; Milon de Linas ; Gui Pinel ; Hugues Guirredus ; Roger de Saint-Yon, surnommé Payen et Hugues Chamilli».

Le legs est fait comme toujours pour le salut du donateur, en l'occurrence le vicomte Aymon « patruus , paternel » dont le fils Foulques et le petit-fils Tescelin confirme la volonté. Ce consentement n'est pas inutile afin d'éviter toute contestation porté devant la justice. Ainsi, dans la plupart des donations faites aux communautés religieuses, nous assistons au défilé de toute la famille donnant son approbation groupée autour du bienfaiteur posant l'acte sur l'autel de la Vierge. Bien évidemment il faut l'accord du suzerain dont le bien est dans la mouvance. Quelquefois une chicane prend naissance ; on fait appel à un arbitre qui tranche le plus souvent en faveur de l'Église, car le juge fait jouer la menace d'excommunication, la punition divine voire de damnation.

En ce qui concerne la charte de Tescelin, l'acte fut reçu par le prieur Henri dans l'église de Montlhéry. Nous ne connaissons pas le lieu exact, mais il est probable que ce soit l'église Saint-Pierre du château, paroisse de la garnison royale. D'ailleurs, les personnages cités, agissant comme témoins, sont des chevaliers « milites » de Montlhéry qui devaient la garde du château pendant deux mois.

Le bien donné est fort modeste : un pré de deux arpents sur la rive droite de l'Essonne. Il faut remarquer qu'à cet endroit la rivière s'étend largement dans le fond de la vallée propice aux marais et aux prairies renommées pour donner des herbages d'excellente qualité. Le pré accordé aux moines de Longpont était une source de revenu non négligeable quand on sait que le loyer des prés était bien supérieur aux autres terres. Cette prairie avec d'autres biens riverains permettront aux moines de prétendre posséder le droit de pêche dans la rivière.

Le prieuré Saint-Laurent de Milly

Positionnons-nous en 1175, l'année où Guillaume de Milly, prenant le froc à Longpont, présente sa dot au prieuré, laquelle est constituée par des biens qui venaient du patrimoine familial à Milly « Milliacum ». La dot de Guillaume est constituée par une terre à Milly dans laquelle sont situés une maison, un pré et une vigne (3) .

L'acte est donné par la charte XVIII du Cartulaire (I) transcrite par Marion.

« Guillelmus de Milliaco, filius Johannis de Cosenciis, nepos autem Rainaudi, decani de Milly, apud sanctam Mariam de Longo Ponte monachicum habitum suscipiens, dedit eidem ecclesie terram, in qua domus de Milliaco sita est, & pratum & vineam que domui adjacent ; concedentibus fratribus suis, Balduino & Pagano, & sororibus suis ; concedente & Philippo, de cujus feodo movebat. Laurentius autem, monachus noster, qui domum ipsam fundavit & in ea multum laboravit, ab eodem Philippo feodum pro XL a solidis comparavit ; concedente Guillelmo de Milliaco, de quo Philippus tenebat. Ad hoc suerunt : Oddo, miles, de Monte Sancti Petri ; Guido Nanterius, miles ; Teodericus, major ; Gaufredus Anglicus ».

«Guillaume de Milly, fils de Jean de Courances, neveu de Renaud, doyen de Milly, prenant les habits de moine à Sainte-Marie de Longpont, donna à cette église une terre dans laquelle est située la maison de Milly, un pré et une vigne qui sont contigus à la maison. Ses frères Baudouin et Payen, et leurs sœurs concédèrent ce don. Est aussi d'accord Philippe de qui il tenait ce droit féodal. Et aussi Laurent, notre moine qui avait bâti cette maison et dans laquelle il avait beaucoup travaillé. Il avait acheté ce droit pour quarante sols à Philippe. Est d'accord Guillaume de Milly, de qui Philippe le tenait. À cela, furent présents : le chevalier Eudes de Mont-Saint-Pierre, le chevalier Gui Nanters, le régisseur Théodore et Geoffroy Anglais».

Il semble que Jules Marion ait fait une erreur en datant la charte vers 1136. Nous pouvons penser que le jeune Guillaume était un novice encore adolescent, disons qu'il était âgé de 15 ans au plus. Il est couramment admis que Guillaume de Milly prit les habits de moine à Longpont en 1175. C'était au temps du prieur Thibaud qui resta trente ans à la tête de la communauté clunisienne se liant d'amitié avec le roi Louis VII.

La charte XVIII du prieuré de Longpont nomme directement Guillaume de Milly, fils de Jean de Courances, neveu de Renaud, doyen de Milly, prenant les habits de moine à Sainte-Marie de Longpont « Guillelmus de Milliaco, filius Johannis de Cosenciis, nepos autem Rainaudi, decani de Milliaco, apud sanctam Mariam de Longo Ponte monachicum habitum suscipiens ». Sa dot comprend une terre dans laquelle est située la maison de Milly , un pré et une vigne qui sont contigus à la maison « terram, in qua domus de Milliaco sita est, et pratum et vineam que domui adjacent ». Ce don est fait avec l'approbation de ses frères Baudouin et Payen, et leurs sœurs. Philippe, seigneur dont les biens sont dans la mouvance donne également son accord « concedente et Philippo, de cujus feodo movebat » ainsi que Laurent, moine bénédictin qui avait bâti cette maison et dans laquelle il avait beaucoup travaillé et avait acheté ce droit pour 40 sols « pro XL solidis » au seigneur Philippe. Les plèges de ces donations furent : le chevalier Eudes de Mont-Saint-Pierre, le chevalier Gui Nanter, le régisseur Théodore et Geoffroy Anglais.

Cette charte est riche d'enseignements. Premièrement, elle confirme, qu'aux XIe-XIIe siècles, les moines de Longpont, comme ceux de Cluny, sont tous des aristocrates, chevaliers ou écuyers « miles ou armigeri », à l'exemple du fondateur Gui, seigneur de Montlhéry. Guillaume est le fils cadet d'une famille noble illustre qui possède de nombreux fiefs dans le sud parisien, dans le Hurepoix et le Gâtinais.

La seconde leçon de la charte est la donation de la maison de Milly construite par le moine Laurent. Comme décrit dans la Bibliotheca Cluniasensis pour les titres du prieuré de Longpont « in archiepiscopatu Senonensi, prioratus S. Laurentii prope Milliacum », il s'agit donc du prieuré Saint-Laurent de Milly qui faisait partie du groupement régional. Selon les comptes du temporel donné au chapitre de Cluny, ce prieuré était occupé par deux moines au XIIIe siècle, à l'époque où le réseau clunisien de Longpont comptait 60 moines et prêtres. Le prieuré de Milly dispose donc, dans son enclos, d'une vigne et d'un pré « pratum et vineam ». Faute de documents d'archive, nous ignorons les comptes de ce prieuré, mais pouvons estimer des revenus à près de 200 à 300 livres parisis à la fin du XIIIe siècle.

Quittance de la créance du prieuré de Longpont

Sous le titre Littere super quitatione facta ecclesie Longipontis a Salomone judeo , un acte portant le sceau d'Adèle de Champagne, mère de Philippe Auguste est la charte LXXI du second Cartulaire de Longpont (4) . Datée du 28 février 1201, la charte existe sous forme de copie est actuellement à la BnF sous la cote Nouvelles acquisitions latines 932. C'est une lettre relative à une quittance donnée à l'église de Longpont par le juif Salomon. Dans l'inventaire des titres de 1713 conservé aux Archives départementales de l'Essonne, elle est intitulée « Accommodement entre Salomon & son neveu, d'une part, & les prieur & religieux de Longpont, d'autre part, touchant plusieurs différends entr'eux ».

Cette charte a été transcrite et publiée en 1909 par Henri Omont, sous le titre, Chartes inédites de rois de France (1140-1207) , dans le Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Île-de-France (5). Selon Mr. Omont, la charte de la mère de Philippe-Auguste provient du cartulaire exilé pendant près d'un siècle en Angleterre, à Middlehill, puis à Cheltenham, dans la bibliothèque de sir Thomas Phillipps, et entré au début du XXe siècle dans les collections de la Bibliothèque nationale. La pièce publiée émane de la chancellerie d'Adèle de Champagne, mère de Philippe-Auguste, en présence de laquelle deux juifs et une juive, Salomon, Salemin et Judith donnent quittance générale en 1201, au Temple, à Paris, de ce qui leur était dû par les religieux de Longpont.

Voici le texte du folio 31v° du Cartulaire (II)

« Adela, Dei gratia Francorum regina. Noverint universi et singuli qui presentes litteras viderint vel audierint, quod Salomon et Saleminus, nepos et gener ejus, judei nostri, et Judeola, judea nostra, coram nobis quittaverunt domum et prioratum de Longoponte de omnibus querelis et de omnibus debitis et de omnibus plegiationibus que eis debuerat usque ad diem illum in quo presentes littere facte fuerunt. Quod ut firmum sit et ratum, et ne dictus prioratus per aliam calumpniam seu per aliquas litteras super hoc aliquatenus vexetur, nec aliquod dampnum sortiatur, presentem paginam sigilli nostri auctoritate fecimus communiri. Actum Parisius, apud domum Templi, anno Domini M°CC°, pridie kalendas marcii ».

La traduction du texte latin peut-être la suivante :

« Adèle reine des Francs par la grâce de Dieu. Que sachent tous et chacun qui auront lu ou entendu parler des présentes lettres: qu'en notre présence, nos juifs Salomon et Salemin, son neveu et gendre, ainsi que Judith, notre juive, ont donné quittance à la communauté et prieuré de Longpont de toutes les plaintes, de toutes les dettes et de tous les gage-plèges qu'ils leur étaient dus jusqu'à ce jour où la présente lettre a été promulgué.

« Et pour que cela soit solidement établi, et que ledit prieuré ne soit pas accusé faussement à n'importe quel moment par d'autres poursuites ni par une autre lettre sur cette affaire, et qu'ils n'en subissent ni vexation, ni condamnation, de notre autorité, nous avons apposé notre sceau habituel sur le présent acte.

« Fait à Paris à la maison du Temple, l'an du Seigneur 1200 [1201, nouveau style], la veille des calendes de mars ».

Les lettres sont dictées par la reine Adèle de Champagne, troisième épouse de feu Louis VII le Jeune. Nous apprenons que le prieuré de Longpont avait une créance envers Salomon et son neveu Salemin marié à Judith, venant semble-t-il d'un emprunt fait par les moines. Ceux-ci s'acquittent de la dette en ayant soin d'utiliser les bons offices de la reine douairière de France, veuve de Louis VII le Jeune.

Plusieurs questions, auxquelles nous allons tenter de répondre, sont posées à propos de cette charte latine :

• quelle est la raison de l'intervention de la reine ?

• quel est l'usage de cette dette que firent les moines de Longpont ?

• qui sont les créanciers ?

Adèle de Champagne résidait à Melun « apud Meledunum, in regia domo » en mars 1191 quand elle apposa son sceau sur un acte en faveur de l'église Saint-Spire de Corbeil. Cette reine protégeait l'Eglise par diverses actions dont un arbitrage lors de la discussion entre l'évêque de Paris et ses archidiacres à propos de la procuration le jour de la fête Saint-Exupéry. Un second acte (charte VI) est promulgué en septembre devant la même reine « in presencia illustris Francorum regine Adele ».

Ainsi, Adèle de Champagne intervenait dans toutes les localités qui relevaient de son douaire, partie du patrimoine familial. Le douaire avait été constitué par Louis VII à sa nouvelle épouse, le jour de ses noces en 1160 (6). En 1191, Adèle fit pression sur Guillaume IV de Garlande, seigneur de Livry, pour qu'il abandonne sa lutte contre les moines de Saint-Martin à propos des essarts de l'Aulnoye. Les prévôtés de Corbeil « Corbolium » et de Melun « Meledunum » lui avaient été attribuées. Ainsi, le Gâtinais entrait dans la juridiction de la reine mère. Bien évidemment, il est hors de question de faire entrer Longpont directement dans le champ juridique d'Adèle, puisque le prieuré était au cœur du domaine royal en la châtellenie de Montlhéry. Les bons offices de la reine au profit de Longpont proviennent du fait que le prieuré avait des nombreuses possessions dans le Gâtinais et plus spécialement aux alentours de Milly-la-Forêt comme nous venons de le voir dans les chartes précédentes.

Il est donc naturel de voir la reine accueillir l'extinction de la créance relative à des biens localisés dans son douaire. La reine apporte sa caution sous la forme de gage-plège (7). La communauté de Longpont avait contracté un emprunt en utilisant l'office d'un usurier juif qui vivait à la cour d'Adèle de Champagne. Au cours du XIIe siècle, les prieurs conventuels de Longpont étaient proches du pouvoir royal et de nombreuses chartes montrent que Louis VII fut un bienfaiteur du prieuré, par des donations pieuses, la création de la foire de Longpont et le rattachement du prieuré de Montlhéry au réseau régional clunisien, etc. Adèle suivit l'exemple de feu son mari en favorisant l'implantation du petit prieuré de Saint-Laurent de Milly qui venait d'être fondé par le prieur Guillaume. Le pécule aurait pu servir également à l'acquisition de biens immobiliers dans le Gâtinais.

Bien que l'une des premières décisions de politique intérieure de Philippe Auguste ait été l'expulsion des Juifs et la confiscation de leurs biens en avril 1182, l'interdiction cessa en 1198. La première décision contrastait avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive. La motivation officielle désignait les juifs comme responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel était surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne. L'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevenait bientôt la norme sous le règne de Philippe. À cette époque les Juifs avaient le statut de serfs, c'est pour cette raison que la reine Adèle protégeait « ses Juifs » en 1201. En exerçant son gage-plège, il semble que la reine voulait protéger les moines de Longpont mais également Salomon et sa famille contre toutes sortes de persécutions qui avaient cours au Moyen âge (8). Comme un paradoxe, Salomon exerçait l'usure que l'Eglise catholique condamnait bien qu'elle eut recours à cette pratique.

Une autre charte du prieuré parisien nous montre que la reine-douairière, Adèle de Champagne, administrait très efficacement le domaine de son douaire. Au printemps 1204, elle déclare par lettres-patentes que les moines de Saint-Martin-des-Champs ne sont point tenus à la réfection du pont et de la chaussée de Fontaine-le-Port, comme le prétendaient les habitants. L'acte est publié par son chambellan en son château de Melun.

À suivre…

Notes

(1) Un répertoire généalogique de la famille Le Riche peut être consulté sur le site : http://racineshistoire.free.fr .

(2) J. Depoin, Recueil de Chartes et Documents de Saint-Martin de Champs (Jouve et Cie, éditeurs, Paris, 1912). Depoin fut le précurseur de la prosopographie , science de la rémanence de l'attribution de certains prénoms dans les lignages de famille.

(3) Le prieuré de Longpont avait reçu un important vignoble à Chailly-en-Bière dont le roi Louis VI le Gros avait rétrocédé les droits féodaux vers 1100.

(4) Adèle de Champagne, reine de France, troisième femme de Louis VII le Jeune est née vers 1140, du légitime mariage de Thibaut IV le Grand, comte de Champagne et de Blois, et de Mathide de Carinthie. Elle était la petite-fille de Guillaume le Conquérant. Elle fut la sœur de Henri 1er le Libéral, comte de Champagne, Thibaut V, comte de Blois et de Chartres, Guillaumes aux Blanches Mains, archevêque de Reims, Etienne, comte de Sancerre, Marguerite, abbesse de Fontevraud, Agnès de Blois, comtesse de Bar et Marie de Blois, duchesse de Bourgogne. Elle décéda à Paris le 13 juin 1206.

(5) H. Omont, Chartes inédites de rois de France (1140-1207) , in Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Île-de-France, vol 36 (chez Champion, Paris, 1909) pp. 69-74.

(6) G. Estournet, La Ferté-Alais, ses origines, ses noms ses premiers seigneurs , in : Bulletin de la Société Historique et Archéologique de Corbeil, d'Étampes et du Hurepoix (SHACEH, Corbeil, 1944) pp. 33-118. – J.-B. Capefigue, Histoire de Philippe-Auguste (chez L. Hauman, Bruxelles, 1830).

(7 ) D'après le Dictionnaire encyclopédique de la noblesse de France , le gage-plège était l'obligation que contractait quelqu'un pour le vassal qui n'était pas resséant sur son fief, de payer pour lui les rentes et redevances dues pour l'année suivante, à raison de son fief. Il devait donner plège , c'est-à-dire caution, qui demeurait sur le fief, et qui s'obligeait de les payer. Le droit était surtout utilisé par la coutume de Normandie.

(8) En 1190, à York, une fois les Juifs tués, les assaillants se rendirent à la cathédrale et y brûlèrent toutes les reconnaissances de dette. Les Juifs avaient disparu, mais peut-être plus important, les preuves de l'argent.

dagnot/chronique39.06.txt · Dernière modification: 2020/11/12 05:15 de bg