Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Justin Bourgeois

Observations de fracture du sourcil cotyloïdien (1854)

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Transcription

  • CHIRURGIE PRATIQUE.
  • OBSERVATION DE FRACTURE DU SOURCIL COTILOÏDIEN.
  • Étampes, le 23 Septembre 1854.
  • Monsieur le rédacteur,
  • L'observation de fracture du sourcil cotiloïdien avec déplacement consécutif de la tête du fémur, publiée dans votre numéro du 17 août dernier, m'a rappelé un fait offrant de |475| l'analogie avec celui de l'habile chirurgien de l'hôpital Cochin, et qui, sous certains rapports, me semble même plus curieux encore, vu cette particularité, que le fragment osseux, détaché, non du rebord cotyloïdien, mais bien du grand trochanter, est venu se loger dans une boîte osseuse et a rendu la réduction de l'os complètement impossible. Si ce fait vous paraît digne de voir le jour, je vous prie de lui accorder l'immense publicité de votre journal.
  • Telle est, du reste, l'histoire de ce blessé.
  • Il y a environ trois ans, le nommé Vramant, âgé d'une cinquantaine d'années, de forme moyenne, mais bien musclé, travaillant à une carrière de pierre, est enseveli jusqu'au cou sous un éboulement composé de terre et de blocs de pierre; il est saisi par le devant du corps, qui se trouve plié et affaissé sons la charge. On le dégage assez vite; il est reconduit chez lui sur une civière et je le vois une heure et demie après l'accident.
  • Je constate alors les désordres suivans:
  • Luxation en haut et en arrière du fémur droit, caractérisée par la rotation avec demi-flexion dit membre en dedans; celui-ci est raccourci de 7 à 8 centimètres, il est presque impossible de le porter en dehors et on occasionne alors une très vive douleur. Obliquité marquée de l'axe de la cuisse; élévation du pli de la fesse, saillie assez forte de celle-ci. La tête de l'os déplacé se sent manifestement dans la fosse iliaque externe; dépression, quoique peu marquée, du pli de l'aine; le grand trochanter est situé plus en devant et plus haut qu'habituellement. La cuisse est fortement tuméfiée et ecchymosée en plusieurs points, mais sans plaie. Outre cette luxation, plusieurs désordres très graves, et que je ne ferai qu'indiquer, existaient chez cet homme, tels que, large plaie du scrotum par où s'échappait le testicule droit et même la verge dénudée, forte ecchymose et vive douleur de la région pubienne; fracture de tous les cartilages externes, sans dépression ni changement de couleur des légithiens. Luxation de l'articulation sternoclaviculaire du même côté. Malgré ces graves désordres, le malade conserve toutes ses facultés, mais il souffre horriblement et pousse incessamment de violens cris de douleur. Le pouls, déprimé, bat 75; la face est pâle, la respiration libre, le ventre indolent, la soif ardente; aucune évacuation naturelle ou contre nature n'a eu lieu depuis l'accident.
  • Le blessé ne paraissant pas, malgré les lésions que je viens d'exposer, dans un état complètement désespéré, je crus devoir, avant tout, procéder à la réduction du membre déplacé, réduction que j'ai assez souvent eu l'occasion de pratiquer et toujours sans de grands obstacles.
  • Après trois ou quatre tentatives infructueuses, je crus devoir cesser, lorsqu'un confrère, qui avait été également mandé, survint; il fit lui-même quelques efforts, mais sans plus de succès, et le malade, pâlissant encore, sa voix s'affaiblissant, nous crûmes devoir remettre à un autre moment, s'il y avait lieu, tout essai de cette nature, en mettant même le chloroforme en usage au besoin. Le patient n'étant pas en position de se faire soigner chez lui pour un état aussi grave, fut envoyé à l'hôpital.
  • Il succomba pendant le trajet, qui est de plus de dix kilomètres, probablement à une hémorrhagie interne.
  • Ouverture du corps vingt-quatre heures après la mort.
  • Mon but n'étant pas de m'occuper d'autre chose que de la luxation, je ne décrirai que que ce qui a trait à cette dernière. Le cadavre, bien qu'encore un peu chaud au tronc, est très rigide, si ce n'est le membre malade, probablement à cause des efforts exercés sur lui pendant la vie. Deux longues et profondes incisions sont pratiquées, la première parallèlement à la crête iliaque, et la seconde, perpendiculaire à celle-ci, au-devant de la cavité cotyloïde, elles donnent lieu à un lambeau triangulaire à base postérieure et constitué par la peau, le tissu adipeux et toute l'épaisseur du muscle grand fessier. Ce lambeau, disséqué et relevé, laisse voir une large déchirure du muscle moyen fessier, à travers laquelle a passé la tête fémorale, enveloppée seulement d'une couche cellulaire très mince formée par le tissu lamineux qui sépare les deux muscles, de très larges et de très profondes ecchymoses accompagnent la déchirure du petit fessier et pénètrent même dans le grand, il ne reste plus de trace du ligament rond ou inter-articulaire, il a été arraché à son insertion sur la tête de l'os; celle-ci repose par sa face antérieure sur le muscle moyen fessier qui la sépare de la fosse iliaque externe. Ce dernier muscle et le petit fémur détachés de l'os coxal et rabattus, on aperçoit la capsule fibreuse largement ouverte par une déchirure longitudinale qui a donné issue à l'os, et en sus détachée dans les quatre cinquièmes de sa circonférence de ses attaches à la base du col du fémur, et au grand trochanter elle ne tient plus qu'au-devant et en bas de la première de ces deux éminences osseuses; à la partie moyenne de la portion de la bourse fibreuse détachée, est fixé un fragment osseux, de forme irrégulièrement arrondie, de 1 cent. d'épaisseur, de 2 1/2 de largeur, qui a été arraché du sommet du grand tronchanter, la partie flottante de la capsule et cette portion osseuse sont contenues dans la boîte cotyloïde qu'elles bouchent presque complètement.
  • La partie lésée découverte, je fis des tractions sur le membre pendant qu'avec l'autre main je cherchais à repousser l'os à sa place, afin d'opérer la réduction, mais cela sans succès; même après avoir détaché presque toutes les chairs qui fixent te fémur au bassin, toujours la tête du fémur gagnait bien le niveau de sa cavité, mais elle ne pouvait s'y loger, et ce n'est qu'après avoir fait sortir l'espèce de bouchon qui l'obstruait avec les doigts de la main gauche, la paume appuyant sur le grand trochanter, tandis qu'avec la droite je tirais sur le membre que je pus seulement opérer cette réduction.
  • Il y a évidemment dans l'observation que je viens de décrire, un peu trop longuement peut-être, un exemple de ces luxations dont les efforts les plus sagement dirigés ne peuvent arriver à triompher, et je puis dire qu'il n'est aucun praticien qui a un peu vécu dans le métier qui n'en puisse citer quelque cas. On s'épuise souvent alors en vaine conjecture, et on ne à quelle explication rationnelle s'arrêter pour expliquer son insuccès. On conçoit, du reste, que dans l'espèce il eût été absolument impossible de remettre le membre, quelque prolongées qu'eussent été les tentatives de réduction, et que, sans la constatation des désordres, on ne serait jamais arrivé à les soupçonner même.
  • Agréez, etc.
  • Dr Bourgeois, d'Étampes.

Bibliographie

  • Jacques Maisonneuve, "Fracture du sourcil cotyloïdien, diagnostiquée pendant la vie et maintenant réduite", L'Union médicale 8/98 (1854) 403-404.
    • CLINIQUE CHIRURGICALE.
    • FRACTURE DU SOURCIL COTYLOIDIEN, DIAGNOSTIQUÉE PENDANT LA VIE ET MAINTENUE RÉDUITE (1);
    • Par M. Maisonneuve, chirurgien de l'hôpital Cochin.
      • La fracture du rebord de la cavité cotyloïde s'observe assez rarement. Le déplacement de la tête du fémur qui l'accompagne en a d'ailleurs pu imposer dans bien des circonstances et faire croire à une luxation simple. Aussi, ces fractures ont-elles été plutôt mentionnées que décrites, et les symptômes indiqués par quelques auteurs sont-ils considérés, dans les ouvrages de chirurgie les plus modernes, comme déduits de vues théoriques.
      • Un cas de ce genre s'est récemment présenté à mon observation, et m'a fourni l'occasion d'en constater les véritables signes.
      • Il s'agissait d'un carrier, surpris dans un éboulement, et amené à l'hôpital Cochin, le 3 mai 1854, avec des lésions multiples: une fracture du bras droit, compliquée de plaie, une fracture comminutive de la cuisse du même côté, et enfin une lésion complexe de l'articulation coxo-fémorale gauche, qui fixa surtout mon attention et qu'à l'aide d'un examen minutieux et sévère, je ne tardai pas à reconnaître pour une fracture du sourcil cotyloïdien, avec sub-luxalion de la tête du fémur. La résolution du membre, par le chloroforme, rendait, au reste, les signes de cette affection assez nets et caractéristiques pour ne laisser aucun doute dans notre esprit.
      • Voici en quoi ils consistaient: 1° une douleur vive existait au niveau de l'articulation; 2° la cuisse était raccourcie de trois ou quatre centimètres environ; 3° le pied était dans la rotation en dedans; 4° le grand trochanter faisait saillie en dehors; 5° les mouvemens imprimés au membre donnaient lieu à une crépitation très manifeste; 6° une légère traction en bas produisait un soubresaut brusque et une véritable réduction, qui se détruisait promptement dans le mouvement d'adduction du membre et se maintenait, au contraire, si la cuisse était portée en dehors; 7° enfin, pendant cette réduction, il était facile d'imprimer au membre les mouvemens de flexion, d'abduction et même de circumduction. |403|
      • En présence de ces symptômes, il était évident qu'une lésion grave existait dans la hanche. Mais quelle pouvait être cette lésion? Était-ce une fracture du col du fémur, une luxation ou bien une fracture du sourcil cotyloïde?
      • La fracture du col du fémur a, pour symptômes, une douleur vive dans la région de la hanche, l'impossibilité des mouvemens volontaires, la crépitation, un raccourcissement de plusieurs centimètres, que l'extension fait disparaître, et qui se reproduit quand on abandonne le membre à lui-même. Or, tous ces signes existaient chez notre malade. Mais, dans la fracture du col du fémur, le pied est tourné en dehors; ici, au contraire, il était tourné en dedans. Dans la fracture, la réduction se fait sans secousses, et le raccourcissement se reproduit dans toutes les positions; ici, la réduction produisait un bruit manifeste et se maintenait quand on portait le membre dans l'abduction.
      • Les derniers symptômes détruisaient donc les présomptions que faisaient naître les premiers, et ne me permirent pas d'admettre une fracture du col.
      • Était-ce une luxation? Je pus tout d'abord exclure les luxations sus et sous-pubiennes, qui, l'une et l'autre, s'accompagnent d'une abduction de la cuisse et de la rotation du pied en dehors. Les symptômes de la luxation iliaque et de la luxation ischiatique se rapprochent davantage de ceux que nous avions sous les yeux. Dans l'une et l'autre de ces lésions, en effet, le membre est raccourci et dévié en dedans, comme chez notre malade. La réduction, de même, s'opère brusquement et avec bruit. Mais, dans la luxation simple, il n'y a pas de crépitation; le membre, une fois ramené à son état normal, ne revient pas spontanément à sa position vicieuse: de sorte que nous trouvions encore ici des symptômes contradictoires.
      • Au contraire, dans l'hypothèse d'une fracture du sourcil cotyloïdien, avec sub-luxation en haut et en dehors, toute la série des phénomènes que j'avais sous les yeux trouvait une explication facile, et le paradoxe disparaissait.
      • En effet, le raccourcissement du membre, la déviation du pied en dedans, étaient une conséquence forcée du déplacement que la tête du fémur avait dû éprouver en haut et en dehors, par suite de la fracture du sourcil cotyloïdien. Il en était de même de la réduction facile et accompagnée d'un ressaut appréciable, de la reproduction du raccourcissement quand la cuisse était dans l'adduction, de la persistance, au contraire, de la réduction quand la cuisse était écartée en dehors, de la crépitation, enfin, de tous les signes que nous avions notés.
      • L'existence d'une sub-luxation du fémur, accompagnée de fracture du sourcil cotyloidien, ne laissa aucun doute dans mon esprit.
      • Je procédai à la réduction en exerçant de légères tractions sur la cuisse. Puis, afin de prévenir un nouveau déplacement, je plaçai le membre dans une position telle, que la jambe était demi-fléchie et le genou fortement porté en dehors. Dans cette position, en effet, la tête du fémur se trouvant dans l'axe de la cavité cotyloïde n'exerçait plus aucune pression sur le sourcil de cette cavité.
      • Pendant quinze jours, le malade resta dans un état assez satisfaisant, mais au seizième jour, une escarre située près du genou fut le point de départ de graves accidens. Dès que le foyer de la fracture et l'intérieur de l'articulation eurent été, par cette plaie, mis en contact avec l'air, des symptômes de la plus haute gravité, un vaste phlegmon, l'emphysème du membre et des symptômes généraux d'infection putride se développèrent |404| avec rapidité. L'amputation de la cuisse dut être pratiquée le 20 mai.
      • Quelques jours après, le malade fut pris de frissons, d'accidens d'infection purulente, et succomba le 20 mai 1854.
      • Autopsie. — Après avoir enlevé avec soin toutes les parties molles qui recouvraient l'articulation coxo-fémorale, je constatai lés faits suivans.
      • La tête du fémur était parfaitement contenue dans la cavité cotyloïde; elle exécutait tous les mouvemens normaux. La capsule fibreuse, examinée par sa partie antérieure, était saine. Il en était de même des parties osseuses correspondantes, c'est-à-dire de la partie antérieure de la cavité cotyloïde.
      • En arrière, au contraire, je remarquai les traces d'une fracture qui comprenait toute la partie postérieure du sourcil cotyloidien, mais dont les fragmens étaient déjà soudés.
      • Les fragmens étaient au nombre de trois: l'un, très large et si parfaitement réuni au corps de l'os, qu'on avait peine à le reconnaître, comprenait la partie postérieure et inférieure du sourcil cotyloidien, l'épine ischiatique, et se prolongeait en écaille vers la tubérosité de l'ischion; le périoste était resté intact à la pointe inférieure de ce fragment, dont il avait empêché le déplacement. Un second fragment, beaucoup plus petit, comprenait la partie postérieure et supérieure du sourcil cotyloidien; un cal incomplet le maintenait soudé à l'iléum; mais il restait un intervalle de 1 centimètre entre lui et le fragment inférieur.
      • La capsule fibreuse offrait, au niveau de ces deux fragmens, les traces d'une déchirure longitudinale de 2 centimètres d'étendue. L'articulation se trouvait donc parfaitement reconstituée.
      • En portant le fémur dans une forte abduction, j'ai rompu le cal qui faisait adhérer les fragmens au corps de l'os.
      • Ces fragmens, entraînés par la capsule fibreuse, se sont écartés l'un de l'autre, et j'ai pu voir la tête du fémur se déplacer en arrière. Dans cette position, la tête de l'os n'avait plus aucun contact avec le cartilage de la cavité cotyloïde: elle reposait, par sa partie antérieure, sur la surface fracturée de l'osiléum. Le ligament rond n'était qu'incomplètement rompu.
      • Si, dans cet état de choses, j'exerçais sur le fémur une légère traction, en même temps qu'un mouvement d'abduction, la tête de l'os rentrait dans la cavité et les fragmens reprenaient leur position normale.
      • Cette observation m'a paru intéressante à plusieurs égards:
      • 1° Elle est un exemple bien net de fracture du sourcil cotyloïdien avec luxation;
      • 2° Elle démontre la possibilité de reconnaître d'une manière précise, cette lésion sur l'homme vivant, au moyen des symptômes que l'on n'avait pas encore signalés;
      • 3° Enfin, elle fournit à la thérapeutique de cette affection des données utiles.
        • (1) Observation présentée à la Société de chirurgie.
hn/hn.justin.bourgeois.1854b.txt · Dernière modification: 2023/10/20 01:39 de bg