Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Pierre Giffard

Le tombeau de Michel de l'Hôpital

  • Cet article a paru sous la rubrique Choses du jour en première page du Petit Journal du lundi 11 mars 1895.

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Transcription

  • Texte transcrit et indexé par Bernard Gineste, juin 2022.
  • Le tombeau de Michel de l'Hôpital
  • J'ai reçu ces jours-ci la visite de M. l'abbé Deverre, curé de Baigneville1) et desservant de Champmotteux, près d'Étampes, qui m'a conté un cas curieux autant qu'intéressant, celui du tombeau du chancelier de l'Hôpital: :
  • En lisant il y a quelques mois dans le Petit Journal, à propos d'un article intitulé: La maison de Lamartine, cette phrase suggestive: “Lorsqu'un pays délaisse la mémoire de ses grands hommes, il donne la preuve la plus certaine d'une incurable misère intellectuelle,” la pensée du bon curé dé Baigneville, s'est reportée sur ce grand homme aujourd'hui méconnu et oublié dont le tombeau s'élève précisément dans l'humble et modeste église de Champmotteux.

  • À notre époque où l'on dresse tant de statues, il lui a semblé qu'il serait juste de réclamer pour la dernière demeure de celui qui fut jadis grand chancelier de France un peu de cette sollicitude qui s'étend à tant d'autres personnalités, illustres sans doute, mais dont la gloire et les talents n'effaceront jamais l'auréole d'austère vertu dans la vie privée, de sagesse, de justice et de modération dans l'exercice du pouvoir, de sérénité et de philosophie chrétiennes dans la disgrâce et l'exil qui entoure la grande figure de Michel de l'Hôpital.
  • — J'ai encore dans la mémoire, me dit l'abbé Deverre, ces paroles de Villemain: “On a fait souvent le panégyrique du chancelier de l'Hôpital, en lui prêtant des idées qu'il n'avait pas, et on a caché sa véritable gloire sous les éloges qu'on lui donnait. Une meilleure étude serait de rechercher à la fois dans ses actions et dans ses écrits les vrais sentiments de son âme; car le succès ayant manqué aux desseins de ce grand homme, l'histoire générale, qui ne tient guère compte que des entreprises heureuses, est bien loin de le présenter tel qu'il fut en effet.”
  • — Par quel concours de circonstances un des hommes les plus remarquables du seizième siècle repose-t-il dans votre petit village perdu de la Beauce? lui demandai-je…
  • — Voici: Homme vertueux dans une cour corrompue, tolérant dans un siècle de fanatisme, religieux, le chancelier Michel de l'Hôpital se brouilla vite avec Catherine de Médicis, dont il ne voulait pas suivre la politique astucieuse et violente. Voyant son crédit diminuer de jour en jour auprès des grands, grâce aux intrigues du duc d'Albe, partisan de sanglantes représailles contre les protestants, il prit le parti de se retirer en 1568 dans sa terre de Vignay, près Champmotteux, qu'il tenait de la munificence de Henri II. Dans cette solitude, il se livra avec ardeur à la culture des lettres. C'est de Vignay qu'il écrivit ses épîtres latines aux pensées si nobles, dans la belle langue de Cicéron qu'il maniait si bien. La prière, l'étude, l'éducation de ses petits enfants, voilà les seuls soucis des derniers jours de sa vie. L'Hôpital survécut six mois à peine à là Saint-Barthélemy, obsédé par le fantôme.de cet horrible massacre qui lui arrachait souvent cette exclamation: “Excidat illa dies aevo!” Périsse à jamais ce jour néfaste pour l'histoire! II mourut au château de Bel-Esbat, aujourd'hui Bellébat, près Boutigny (Seine-et-Oise), propriété de M. Émile Allez, chez son gendre, Hurault de Belesbat, qui fut par là suite autorisé à ajouter à son nom patronymique celui de l'Hôpital, le 13 mars l573.
  • L'Hôpital fut enterré dans l'église de Champmotteux, distante de Vignay de 3 kilomètres. Démonté en 1793 par les habitants du village, le monument que Mme de l'Hôpital avait élevé à son mari a été restauré en 1834, avec des fonds provenant d'une souscription publique.

  • De forme rectangulaire, orné de cariatides aux quatre angles, le tombeau est recouvert d'une large tablette de marbre noir, sur laquelle repose couchée et les mains jointes la statue du chancelier; Les côtés sont revêtus de plaques de marbre, également noir, relatant en lettres d'or la date de la mort ainsi que le souvenir de la restauration du monument en 1834.
  • Non loin de là, on voit appliqué au mur de la chapelle un magnifique groupé dû au ciseau du sculpteur Marochetti, représentant l'archange saint Michel, patron du chancelier, terrassant le démon.
  • L'Hôpital avait pris comme devise ces deux vers d'Horace sur le Juste:
    • Si fractus illabatur orbis
    • Impavidum ferient ruinae.
    • (La voûte du ciel, s'écroulerait que ses débris le frapperaient sans l'étonner.)
  • Et l'abbé Deverre continua:
  • — Tout rapprochement mis à part, je puis dire que si l'église de Champmotteux ou du moins la chapelle du Chancelier qui tombe en ruines et qui est, je crois, classée parmi les monuments historiques à cause du tombeau, n'est pas réparée dans le plus bref délai, L'Hôpital sera sous peu enseveli sous ses décombres. Mais, j'espère que M. le ministre des beaux-arts, auquel je vais adresser une requête, que M. Amodru, député de la circonscription d'Étampes, dont Champmotteux dépend, toujours si dévoué et si généreux lorsqu'il s'agit de faire une bonne œuvre et à qui je vais également faire appel, voudront bien s'intéresser à l'œuvre de restauration d'un monument consacré à la mémoire de l'une de nos plus belles gloires nationales. Je compte également sur votre Petit Journal, car l'œuvre est éminemment française et le public saura l'apprécier.
  • Le fait est que la réclamation du curé de Baigneville mérite l'envoi d'un bon inspecteur des beaux-arts, et d'un bon subside consécutif.
    • Jean sans Terre.
1)
Lisez Boigneville. — Note de B.G. 2022.
hn/hn.p.giffard.1895a.txt · Dernière modification: 2022/06/17 06:13 de bg