Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Agnès de Brétigny (1280-1299)

Notule

  • Agnès de Brétigny, religieuse de l'abbaye Notre-Dame d'Yerres, en fut la dixième abbesse de 1280 à 1299.

Notice de l'abbé Alliot

  • Chapitre VIII. Agnès de Brétigny (1280-1299)
    • Charité de l'abbaye. — Reconstruction du monastère. — Hôtel à Paris. — Le Cartulaire, les Obituaires. — Date de la composition de ces manuscrits. — Leur contenu. — Origine d'Agnès de Brétigny. — Elle reçoit une moniale envoyée par l'évêque de Paris. — Exemption de la juridiction épiscopale. — Les dons en argent. — Le moulin de Mazières. — La justice. — Le tribunal. — Madame l'Abbesse. — Legs faits par Agnès de Brétigny. — Sa tombe.
  • Quel usage nos moniales faisaient-elles des grands biens et des richesses dont elles jouissaient à la fin du XIIIe siècle? Semblables à des avares, prenaient-elles un plaisir vulgaire et coupable à contempler des trésors entassés dans leurs coffres? Nullement; car une large part de leurs revenus était employée à faire l'aumône aux pauvres de toutes les paroisses où le monastère possédait des biens. Notre époque, si fière de ses sociétés et de ses bureaux de bienfaisance, de ses fourneaux économiques, ignore généralement que le siècle de saint Louis avait un grand nombre d'institutions similaires. Chaque jour à la porte de l'abbaye d'Yerres on faisait de larges distributions d'aliments aux pauvres de la contrée, et l'une des moniales était préposée à cet office. Son grand fourneau, établi près de l'entrée principale du monastère, donnait sans distinction et sans enquête, un potage réconfortant, à tous les malheureux contraints de demander l'aumône. Ces distributions, l'abbesse les faisait faire non seulement à Yerres, mais ailleurs, par les soins des curés des paroisses, si bien que des sommes considérables, dont il nous est impossible de fixer le |86 chiffre, étaient consacrées tous les ans à l'exercice de la charité.
  • Venaient ensuite les travaux utiles. Le monastère fut presque tout entier rebâti entre les années 1270 et 1280. L'œuvre de Hugues le Loup et des abbesses du XIIe siècle avait cent ans environ d'existence; elle était disparate et ne répondait plus au goût de l'époque. Dans les dernières années du règne de saint Louis on rebâtit un monastère nouveau, dans le style du temps; nombre d'aumônes et de donations, inscrites dans les manuscrits de l'abbaye, mentionnent ces constructions, que nous ne pouvons décrire, car le temps n'en a rien laissé subsister. On peut cependant affirmer qu'elles englobèrent et détruisirent l'ancien prieuré de Saint-Nicolas, à l'exception de la chapelle ou oratoire, qui servait encore de temps en temps aux prêtres desservant le monastère, et dont l'un était toujours nommé l'abbé, bien qu'il n'y eut plus de communauté ecclésiastique.
  • En même temps qu'elles bâtissaient, nos moniales faisaient çà et là d'assez nombreuses acquisitions. L'un de ces achats devait les rendre célèbres et populaires, en transmettant leur nom à la postérité. Jusque dans la seconde moitié du XIIIe siècle, l'abbaye, propriétaire à Paris d'immeubles et de droits divers, principalement sur la rive gauche de la Seine, n'avait cependant point encore de maison spécialement affectée au logement de ses religieuses de passage dans la ville, et obligées d'y résider pour les intérêts de la communauté. Ce fut vers 1280, qu'on acheta sur la rive gauche du fleuve un grand terrain, où fut bâti une sorte d'hôtel, propre à héberger les moniales, que les affaires du couvent appelaient dans la capitale, en les forçant parfois à y faire un séjour assez long. Cette maison, appelée l'hôtel d'Yerres, donna son nom à la rue voisine, nommée rue des Nonnains d'Yerres, et plus tard par corruption, des Nonnandières, pour revenir de nos jours à sa première appellation, Rue des Nonnains d'Hyères.
  • Aux grands et utiles travaux, nos Bénédictines savaient joindre les arts d'agrément. Déjà nous avons constaté la présence d'artistes calligraphes et décorateurs dans les murs de la vieille abbaye. La culture des arts s'était conservée et développée parmi nos religieuses, depuis le commencement du |87 siècle. Nous n'avons plus, il est vrai, leurs missels et leurs bréviaires, pour nous permettre de juger de leur goût, et du développement artistique atteint par elles. Néanmoins il nous reste trois manuscrits exécutés à l'abbaye au temps où nous sommes arrivés: ce sont le Cartulaire, et les Obituaires, où nous avons déjà puisé une multitude de renseignements, et d'où nous tirerons encore force détails pour les années qui vont suivre; c'est pourquoi il nous paraît bon de faire connaître ces manuscrits un peu plus en détail.
  • Le Cartulaire, comme son nom l'indique, est un recueil de titres écrits ou d'actes concernant les intérêts de la communauté. Ces actes ou Chartes, du latin Carta, ont donné leur nom au Cartulaire. Celui d'Yerres est composé de deux cents pièces, toutes antérieures à la fin du XIIIe siècle, à l'exception des deux dernières. On peut affirmer d'une manière à peu près certaine, qu'il fut écrit entre 1270 et 1280. Trois ou quatre pièces y furent ajoutées dans les années suivantes: l'une d'elles fait connaître une convention conclue par l'abbesse Agnès, dont nous allons parler; l'autre porte la date du 14 mars 1326, Vendredi avant les Rameaux; enfin une main du XIVe ou même du XVe siècle y a joint une petite liste des fiefs possédés par l'abbesse à Combs-la-Ville.
  • Le Cartulaire d'Yerres, comme presque tous ceux du moyen âge, avait uniquement pour but de sauvegarder les intérêts matériels du couvent; ou mieux, il offrait un recueil facile à consulter dans les contestations que le monastère avait avec des tiers; en un mot c'était le recueil des titres de propriété, des droits, des privilèges possédés par l'abbaye. Non pas que tous les titres fussent insérés dans ce manuscrit, car on en trouve un grand nombre, même aujourd'hui, dans les archives de l'abbaye, qui n'ont pas trouvé place dans le Cartulaire, sans parler de ceux que le temps a détruits ou dispersés. Il est à croire qu'on y inscrivait seulement ceux pour lesquels on avait, ou on redoutait soit des contestations, soit des revendications dans l'avenir.
  • C'est donc un but utilitaire et nullement historique, comme certains l'ont cru, qui a présidé à l'exécution de ces recueils de pièces. À première vue, on pourrait croire que nul ordre |88 n'a été observé dans l'insertion des chartes, tant le pêle-mêle des documents y est complet, et tant l'ordre chronologique y est méconnu. Toutefois en y regardant d'un peu près, on s'aperçoit que l'auteur s'est efforcé de classer tout d'abord les lettres des rois, puis celles des papes et des évêques, pour les faire suivre des donations, inscrites, tantôt d'après l'ordre chronologique, tantôt d'après l'importance du donateur ou de la chose donnée ; enfin des décisions de justices, soit ecclésiastique, soit séculière, puis des accords et des transactions, conclues ou imposées, le plus souvent par les juridictions ecclésiastiques et prononcées par l'Official.
  • Tel quel, le Cartulaire d'Yerres offre un document très important pour l'histoire de l'abbaye durant les deux premiers siècles de son existence. Ce fut le jugement qu'en porta le docte Mabillon, au commencement du XVIIIe siècle, et il le consigna dans une lettre retrouvée dans les papiers du couvent et placée maintenant en tête de notre manuscrit. Plus important encore s'il est possible, est l'Obituaire, écrit par les religieuses un peu après le Cartulaire.
  • “On appelle Obituaires ou Nécrologes, dit M. Molinier 1), des registres sur lesquels les communautés religieuses du moyen âge, inscrivaient les noms de leurs membres, de leurs confrères ou associés spirituels et de leurs principaux bienfaiteurs.”
  • Il ne faudrait pas identifier l'Obituaire à notre Registre de l'État-civil, car tandis que celui-ci inscrit tous les décès d'une circonscription, celui-là n'inscrivait qu'une certaine catégorie de défunts, ceux pour lesquels la communauté devait acquitter chaque année, certains offices religieux et certaines prières; aussi donnerait-on une idée plus exacte de l'obituaire en l'appelant Livre des fondations ou des recommandations 2). |89
  • Nous voudrions maintenant déterminer, aussi exactement que possible, la date de la composition du Nécrologe d'Yerres. M. Molinier, dans l'ouvrage déjà cité, l'a fixée vers 1230: c'est trop l'avancer. Pour s'en convaincre il suffit de se reporter à l'article nécrologique d'Eustachie d'Andresel, décédée en 1261. Cet acte fut omis dans le corps du recueil, et placé par l'auteur à la tête de son manuscrit, qui n'existait pas encore en 1261. La notice consacrée à Ermengarde, devancière d'Eustachie, morte en 1236, confirme cette observation. Elle débute ainsi: Obiit, peracto cursu hujus vite , migravit Emengardis quondam abbatissa nostra….. À lui seul le mot quondam démontre bien que l'abbesse Ermengarde avait cessé de vivre depuis un certain nombra d'années déjà, lorsque fut rédigée sa notice, laquelle est à n'en pas douter de la première rédaction. En disant première rédaction, nous ne prétendons pas cependant que toutes les notices aient été intégralement rédigées lors de la composition du recueil; loin de là: plusieurs d'entre elles remontaient certainement à une époque antérieure; il est même certain que celles des abbesses du XIIe siècle étaient déjà rédigées, qu'elles entrèrent toutes faites dans le manuscrit, qu'elles servirent de modèle aux autres, et qu'on calqua sur elles les notices des âges subséquents.
  • Pour serrer de plus près l'âge exact d'un manuscrit de cette nature, on a recours d'ordinaire à la différence des écritures, et on distingue la première, la deuxième et la troisième main. Sans nul doute, on écrivit dans l'Obituaire à différentes époques; des additions y furent faites au XIVe, au XVe et même au XVIIIe siècle. Toutefois il faut bien prendre garde de s'appuyer uniquement sur la différence des écritures pour déterminer une date exacte. Outre que des défunts du XIIe et du XIIIe siècle n'ont trouvé place à l'Obituaire qu'au XIVe , au XVe siècle et même plus tard, il est assez difficile de dire quelles notices sont de la première main, quelles, de la deuxième ou de la troisième? La science des graphologues est sans doute respectable, comme toute science, mais elle n'est pas infaillible. Le changement d'encre, d'instrument pour écrire, ou même la simple interruption de quelques semaines dans la transcription |90 d'un manuscrit, sont des causes suffisantes pour donner à l'écriture un aspect différent, et capable de faire attribuer à deux scribes ce qui est l'œuvre d'un seul. Nos religieuses, qui avaient pour elles la tradition de leur maison, considéraient leur Obituaire comme une œuvre du XIVe siècle, et ne voulaient voir la seconde main qu'à partir de 1360; c'était évidemment descendre trop bas. On ne saurait nier, croyons-nous, que l'obit de l'abbesse Agnès dont nous allons nous occuper soit de la seconde main. Comme celle-ci mourut en 1299, il s'ensuit que le recueil existait déjà à cette date et depuis plusieurs années. Par ailleurs, on peut se convaincre qu'il n'était pas encore écrit au temps de l'abbesse Marguerite, morte en 1274. Ce fut donc entre cette dernière date et l'an 1300 qu'il fut composé, c'est-à-dire aux environs de l'année 1280, qui vit la mort de l'abbesse Jeanne, dont fut témoin l'auteur de notre manuscrit, comme cela ressort de la rédaction de son article nécrologique.
  • Après avoir déterminé aussi exactement que possible l'âge de l'Obituaire, il serait intéressant d'en connaître l'auteur. Mais là, les conjectures elles-mêmes nous sont interdites. Le parchemin fut donné à nos religieuses par Guillaume de Saint-Victor, ami de la maison, religieux du grand monastère dont il porte le nom, qui remplissait peut-être, au moins de temps en temps, les fonctions de confesseur à l'abbaye. On peut affirmer également ce que furent nos Bénédictines qui transcrivirent elles-mêmes leur nécrologe, comme en témoignent presque toutes les pages du livre. Parmi elles, il se trouvait un petit nombre d'artistes décorateurs et calligraphes, élèves de cette Odeline déjà citée, morte prieure de la maison, dans un âge fort avancé, après avoir enluminé des bréviaires et des missels pour ses sœurs, et formé des continuatrices au nombre desquelles se trouve sans doute l'auteur de l'Obituaire, sans qu'il nous soit possible de dire son nom, car, à l'imitation de beaucoup de ses contemporains, elle n'a pas signé son œuvre.
  • Tel que nous l'avons, l'Obituaire est une œuvre fort composite. Il comprend: un calendrier; — une table de comput; — un martyrologe; — la liste des fêtes solennisées à l'abbaye; — celle des reliques possédées par le monastère; — la règle |91 de saint Benoit; — deux ou trois actes concernant des associations de prières; — enfin l'Obituaire lui-même, disposé en forme de calendrier, avec un certain nombre de noms de religieuses d'Yerres et d'ailleurs, de religieux, d'évêques, de prêtres, de bienfaiteurs et de bienfaitrices, placés sous chacun des jours de l'année. Il existe en double exemplaire, sans doute parce qu'il devait être lu en même temps, dans deux endroits différents; dans le réfectoire des religieuses et peut-être dans celui des prêtres, chapelains de l'abbaye. Les deux manuscrits sont d'ailleurs de la même époque, et les premières additions paraissent de la même main, quoiqu'on puisse relever entre les deux textes un certain nombre de variantes 3).
  • La liste des noms cités est considérable: 250 environ pour chaque mois, ce qui donne un total de 3000 noms; malheureusement il est impossible d'identifier la plupart d'entre eux, car ils sont jetés pêle-mêle, sans indication de temps ni d'époque. Pris au hasard dans les papiers du monastère, ils ont été insérés sans contrôle et souvent sans indications capables de les faire reconnaître; l'auteur l'avoue lui-même, en inscrivant en marge de ses nomenclatures, cette note significative: Leçon de çà et de là.
  • Si incomplètes à certains points de vue que soient les indications fournies par l'Obituaire, il n'en offre pas moins un intérêt fort considérable pour l'histoire de l'abbaye. Par lui, nous apprenons les charges de la communauté envers les trépassés. Elles sont nombreuses et variées: aux uns on doit une simple mention; aux autres, un souvenir plus particulier; ils sont dits: ad succurrendum; pour d'autres, on récite une prière: Subvenite ou Libera me; pour les abbesses et pour les principaux bienfaiteurs, on doit un service solennel, parfois précédé la veille du chant de l'office des morts, avec trois ou neuf leçons; c'est le grand anniversaire avec vigile simple ou double.
  • Et dans les froides nomenclatures du Nécrologe, que de renseignements précieux! Ici, nous voyons les industries de |92 la charité, s'ingéniant de mille façons, pour venir au secours des servantes de Jésus-Christ, et diminuer leurs privations et leur pauvreté, au risque, il faut le dire, d'amoindrir leur vie pénitente et leurs mérites. Les bienfaiteurs donnent à l'infirmerie, à la trésorerie, au cellier, au réfectoire, au cloître, à l'œuvre du monastère, ou bien à celle de l'église abbatiale. Chaque partie, nous allions dire chaque pierre du couvent, prend une sorte de personnalité pour recevoir les aumônes et les bienfaits, apportés par la piété et l'admiration des fidèles.
  • Là, c'est l'inventaire des joyaux, du mobilier artistique et religieux de la communauté, la liste des calices, des vases sacrés, des reliquaires, des croix, des pierres précieuses, des ornements d'autel, des bréviaires, de l'argenterie, d'une foule d'autres objets précieux, offerts aux moniales, le long des siècles. À la différence du Cartulaire, qui nous entretient surtout des possessions, des terres, des choses extérieures, des amis, des bienfaiteurs placés en dehors du cloître; le Nécrologe, au contraire, nous introduit à l'intérieur de la maison. Avec lui, nous sentons pour ainsi dire, palpiter l'âme de la communauté, nous vivons avec elle, nous respirons le parfum de ses prières et de toutes les vertus claustrales, en honneur chez nos Bénédictines, comme dans tous les cloîtres du XIIIe siècle.
  • Pendant que les artistes calligraphes écrivaient les annales du couvent, la crosse passa aux mains d'Agnès, élevée à la dignité abbatiale, au milieu de l'année 1280. Jusqu'ici les origines de cette abbesse ont été mal éclairées; mais aujourd'hui, il demeure constant qu'elle se nommait Agnès de Brétigny 4), était fille d'une dame nommée Agnès aussi, qui, devenue veuve, se retira à Yerres, y prit le voile et y vécut sous la direction de sa propre fille. La nouvelle titulaire tirait son origine d'une famille riche et puissante, dont plusieurs membres avaient occupé des charges importantes dans l'église, |93 et comptait depuis longtemps au nombre des principaux bienfaiteurs de l'abbaye.
  • À peine eut-elle reçu la bénédiction que, le 23 août 1280, elle réclama du Chapitre de Notre-Dame, une décharge de toute l'argenterie et des ornements dont sa maison avait eu la garde après la mort d'Étienne Tempier, à cause du droit de chevecerie. Le 1er décembre suivant, le nouveau titulaire du siège de Paris, Ranufle d'Homblières lui écrivit, pour la prévenir de l'arrivée à son monastère, d'une jeune parisienne, nommée Flore, fille d'Homand le Matin. C'était un recrue placée là par l'évêque, pour succéder à la comtesse de Limeuil, envoyée par ses prédécesseurs et morte récemment. De tous les droits exercés jadis à l'abbaye par les successeurs d'Étienne de Senlis, celui d'y avoir toujours une religieuse de leur choix, était à peu près le seul qui subsistât. Peu à peu nos moniales avaient échappé à la juridiction épiscopale, en se réclamant de la protection du Pape. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, on voit, en effet, des agents du Souverain Pontife apparaître de temps en temps à Yerres. Ils apportent toujours de petits privilèges, quelques exemptions, force faveurs, payées d'ailleurs à beaux deniers comptants par les moniales, qui de plus font fête à ces clercs italiens. La surveillance du Pontife romain, étant plus éloignée, semblait plus commode et moins étroite à nos Bénédictines; mais nous ne tarderons pas à voir cette substitution tourner à la ruine de la discipline et à la décadence des institutions monastiques.
  • Comme toutes ses devancières, Agnès de Brétigny eut à recueillir une grande quantité de donations et d'aumônes, parmi lesquelles nous remarquons celle de Nicolas d'Auteuil, évêque d'Évreux, qui donna 30 sols tournois pour son anniversaire; et celle de Jean de Chevry, évêque de Carcassonne, dont la sœur, moniale d'Yerres, vivait au milieu de nos Bénédictines. Les donations de cette fin du XIIIe siècle affectent une forme particulière; au lieu de terres, de maisons et de dîmes, d'aumônes en nature, les bienfaiteurs apportent du numéraire. Dans l'Obituaire, le seul mois d'avril offre une liste de soixante donateurs, dont la plupart sont de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe siècle; presque tous |94 font leur offrande en argent monnayé. Ce n'est pas à dire toutefois qu'on ne rencontre plus aucune donation en terre; car ce fut Agnès qui reçut d'un clerc, nommé Pierre Béraud, une vigne, située sur la hauteur en face du couvent, premier fondement de ce qu'on nommera plus tard le fief, puis la ferme des Godeaux. En 1289, Jean Chevalet, prêtre, et sa domestique Éremburge donnent à l'abbesse leur maison de Brie, bientôt amortie en faveur du couvent, par Jeanne d'Alençon et de Blois, dame de Brie, très favorable à la maison d'Yerres.
  • Puis ce sont les transactions, nombreuses à toutes les époques, qui remplissent la vie d'Agnès de Brétigny. Au mois d'octobre 1285, elle traite avec Raimond, abbé de Saint-Germain-des-Prés à Paris, au sujet de la succession de Pierre de Cocigny. Raimond remet à sa sœur d'Yerres un engagement écrit, qui permet à celle-ci et à sa communauté de prélever 42 livres parisis de rente annuelle, sur des biens sis à Valenton et à Villeneuve-Saint-Georges. — En 1288, Agnès vend à Guillaume, curé de Combs-la-Ville, les dîmes et tous les droits possédés par les religieuses, dans sa paroisse, contrat ratifié par Ranulfe d'Homblières. Cinq ans plus tard, en janvier 1293, l'abbesse vend à un certain Lubin, secrétaire du roi Philippe-le-Bel, tout ce que possédait sa maison à Gazeran, pour 40 livres tournois de fermage annuel. Gazeran, on s'en souvient, était un des plus anciens biens du couvent; les moniales l'avaient cultivé de leurs mains; elles possédaient dans la paroisse des rentes et des droits importants, ainsi que dans les paroisses limitrophes de Gallardon et Saint-Prest. Lubin eut les biens sa vie durant, mais à sa mort, ces biens, conservés en bon état, devaient faire retour au monastère; jamais cependant les religieuses ne purent rentrer en paisible jouissance de cet héritage; elles conservèrent néanmoins 20 sols de cens annuel sur le château de Gazeran.
  • Agnès de Brétigny aimait à gérer les affaires temporelles; aussi prit-elle une part beaucoup plus personnelle que ses quatre ou cinq devancières à celles de sa communauté. C'est elle qui conclut un arrangement bizarre et minutieux au sujet du moulin de Mazières, voisin des bâtiments claustraux. |95 Les religieuses avaient laissé tomber en ruines un petit moulin, bâti dans les premières années de l'abbaye sur le Révillon; c'est pourquoi la possession de celui de Mazières leur tenait fort à cœur, et elles avaient tout mis en œuvre pour en devenir les seules propriétaires. Ce but n'était pas encore atteint en 1295. L'abbaye en possédait les trois quarts, mais une dame, nommée Agnès comme l'abbesse, détenait le dernier quart. De là, des discussions fréquentes entre les copropriétaires. Pour les éviter on fit un règlement: l'abbesse désormais participera pour les trois quarts à l'entretien du moulin, elle aura aussi les trois quarts du revenu et même du poisson. Chaque année le jour saint Jean-Baptiste, dame Agnès présentera à l'abbesse trois gardes-moulin, parmi lesquels celle-ci fera un choix: viennent ensuite des détails méticuleux sur les charpentiers, le fer, le bois à employer pour le bon fonctionnement de l'importante usine. Hélas! toute cette règlementation ne put empêcher les procès interminables et les nombreuses tracasseries, fruits inévitables d'une si bizarre propriété.
  • Agnès de Brétigny, nous le savons, était de haut lignage; elle avait apporté au cloître, un peu par l'influence de sa mère peut-être, les idées et les mœurs puisées à son berceau; sous la bure bénédictine ce fut une véritable baronne féodale. Par elle s'introduisit à l'abbaye un droit nouveau: celui de rendre la justice. L'abbesse eut un procureur, des sergents, et Agnès fit construire une geôle, c'est-à-dire une prison. Ces innovations sont-elles dignes de louange ou de blâme?
  • Avoir le droit de rendre la justice, ou simplement avoir la justice, comme on disait au moyen âge, constituait un privilège fort important pour l'aristocratie féodale. À l'origine nos religieuses n'en jouirent en aucune manière; plus tard, une bulle papale les exempta elles et leurs gens, de se rendre à certains tribunaux éloignés de leur monastère; c'était un premier pas; cet embryon se développa surtout par les conseils et avis des agents pontificaux; si bien qu'à la fin du XIIIe siècle, non seulement nos moniales ne se rendaient plus aux citations des baillis et autres officiers de justice, mais elles eurent elles-mêmes un tribunal constitué à la porte de leur |96 monastère. Nous sommes mis au courant de ces faits et gestes par un curieux procès, porté devant le prévôt de Paris, Guillaume de Hangest, au cours de l'année 1295.
  • Le tribunal du monastère est ainsi composé: le procureur se nomme Arnoul, les sergents s'appellent Jehan de la Ville-aux-Asnes, et Robin Beslart. De leur côté, les Courtenay, seigneurs temporels d'Yerres, ont un prévôt nommé Jehan Nivart. Celui-ci, en bon courtisan, s'efforçait de faire du zèle. Un jour les sergents du monastère se promenaient près du moulin, en devisant gaiement, durant les longs loisirs que leur laissait leur charge. Nivart, sans l'ombre d'un prétexte, sans aucune raison, fait arrêter les deux sergents de l'abbaye, tout simplement, dit-il, pour affirmer le droit de justice de son maître. On devine les protestations de l'abbesse. L'affaire fut portée devant le prévôt de Corbeil, qui ne put la mener à bien; puis devant celui de Paris, qui ordonna une expertise; et finalement condamna Nivart à une forte amende envers l'abbesse, et Arnoul, son procureur. L'expertise amena à Yerres une assemblée assez considérable: Jean de Marines, abbé de Saint-Maur-des-Fossés et plusieurs de ses religieux; Colin de Gironville et Renaud de Yreigny, écuyers de l'abbé; Eudes des Gréz; Renaud du Tremblay, tous deux prêtres à l'abbaye. Deux religieuses du monastère se présentèrent pour témoigner en faveur de leur supérieure: Aveline d'Étioles, prieure, et Marie de Saint-Marcel, sous-prieure de la communauté.
  • Avec ses hautes prétentions on devine bien qu'Agnès ne fut pas tout à fait une abbesse semblable à ses devancières; aussi la première abandonne-t-elle le titre d'humble abbesse pour prendre celui de Madame l'Abbesse (Domina Abbatissa). Et qu'on n'aille pas croire que c'est là un détail sans importance; les noms signifient les choses, et il y avait assurément une très grande différence entre la manière d'être, de faire et d'agir de Madame l'Abbesse Agnès de Brétigny, et des humbles abbesses: Hildearde de Senlis et Clémence le Loup. En se plaçant simplement au point de vue religieux et monastique, nous croyons que l'avantage est pour ces dernières. |97
  • L'abbatiat d'Agnès de Brétigny compte toutefois au nombre des plus brillants et des plus prospères. Le couvent est toujours peuplé d'un grand nombre de moniales, recrutées pour la plupart dans les rangs de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Combien de filles de chevaliers et de seigneurs de paroisses vinrent se consacrer à Dieu? nous ne le saurons jamais; mais à l'aide des monuments qui nous restent, nous pouvons affirmer que pendant toute la durée du XIIIe siècle et les débuts du XIVe, leur nombre fut considérable.
  • Le collège des prêtres affectés au service religieux de l'église abbatiale était assez important. Sans être astreint à la règle bénédictine, ils formaient une communauté, et le premier d'entre eux portait encore le titre d'abbé. Ce fut sans doute pour cette association sacerdotale que fut écrit le second exemplaire de l'Obituaire, comme nous l'avons dit. Dès cette époque aussi, des prêtres fatigués du ministère, venaient se retirer à l'abbaye, pour finir leurs jours dans le silence et la piété, à l'ombre d'un cloître. De temps en temps les moniales faisaient appel à leur expérience pour diriger leurs affaires temporelles, les représenter dans les procès ou conclure des transactions.
  • Agnès de Brétigny, supérieure de cette grande et belle communauté, mourut le 22 avril de l'année 1299 ou 1300, après un abbatiat de 19 ans. Elle légua à ses sœurs des terres situées au Plessis-Paté; une partie de leur revenu dut être employée à l'acquisition de deux cierges pour éclairer le réfectoire, et d'une lampe qui devait brûler toute la nuit dans le monastère. Elle donna en outre deux sous et deux œufs à chacune des sœurs; un cierge à chaque prêtre, le jour de son anniversaire, plus une chasuble à l'abbé, une dalmatique, une tunique, un calice et d'autres ornements à la chapelle. C'est la première fois que nous avons une donation aussi détaillée. Elle nous montre jusqu'à l'évidence qu'on n'attendit pas le milieu du XIVe siècle pour faire entrer les œufs dans la nourriture des moniales; nous apprenons aussi par elle, que le pécule et la vie privée s'introduisaient peu à peu sous le cloître.
  • Pinard, dans son Histoire du canton de Longjumeau, dit qu'Agnès de Brétigny ne fut pas enterrée à Yerres, et qu'on |98 transporta sa dépouille mortelle dans l'église des Bénédictins de Longpont: nous avons peine à le croire; c'était trop contraire aux traditions d'Yerres, et de plus l'Obituaire l'eût sans doute dit; car, comme il est facile de s'en rendre compte, la moniale, auteur de son article nécrologique, était présente à sa mort, et elle assista à sa sépulture. La tombe d'Agnès de Brétigny, placée dans l'église de Longpont, était, non pas celle de notre abbesse, mais bien celle de sa mère, appelée Agnès comme sa fille, qui fut à l'exemple de presque tous les membres de sa famille, une insigne bienfaitrice du célèbre prieuré bénédictin, fondé au XIe siècle, par Guy Ier, seigneur de Montlhéry.
  • Est-il nécessaire de relever maintenant les autres erreurs des historiographes touchant l'abbesse Agnès? Fisquet la fait mourir, on ne sait pourquoi, le 24 avril 1286; Mévil lui fait porter la crosse pendant 29 ans; les Bénédictins du Gallia, citant un de leurs auteurs et appuyés sur le Cartulaire de Saint-Denis, voient à Yerres en 1291, une abbesse à laquelle ils donnent le nom de Marguerite II. Ils ne s'aperçoivent pas que le contrat cité n'est pas de 1291, mais bien de 1271, époque où l'abbaye d'Yerres était en effet gouvernée par Marguerite Ire; ils n'ont d'ailleurs pas grande confiance dans leur propre assertion; car plus tard ils donneront le nom de Marguerite III, à une abbesse qu'ils devraient appeler Marguerite IV, si la maison d'Yerres avait été gouvernée par une abbesse du nom de Marguerite en 1291. Inutile d'ajouter que cette erreur a été religieusement copiée par Fisquet aussi bien que par M. Mévil.

Documents

Sources

Bibliographie

Notes

1)
Note d'Alliot.Les Obituaires français au moyen âge, par A. Molinier. — Paris, Imprimerie nationale. — 1890. Préface.
2)
Note d'Alliot. — Il est possible que toutes les religieuses mortes à l'abbaye entre 1250 et 1350 aient été inscrites dans l'obituaire, mais il n'en est pas de même pour les autres époques. Les noms d'un grand nombre de moniales du XIIe et de la première moitié du XIIIe siècle n'ont pas été conservés. Les siècles suivants n'ont pas enregistré non plus les noms de tous les membres défunts du monastère.
3)
Note d'Alliot. — Voyez Bibliothèque Nationale, fonds latin, numéros 5258 et 5258 A.
4)
Note d'Alliot. — Brétigny-sur-Orge. — Cant. d'Arpajon. (S.-et-O.). M. Bertrandy-Lacabanne, archiviste de Seine-et-Oise, publia deux volumes sur cette commune en 1886, mais la liste des seigneurs est si incomplète, qu'il nous a été impossible d'y relever le nom des parents d'Agnès.
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