Corpus Essonnien

Histoire et patrimoine du département de l'Essonne

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Louis-Eugène Lefèvre

Vieux Instruments de musique à Étampes

  • Cet article a été publié par L'Abeille d'Étampes dans son numéro 93/3 du 16 janvier 1904, page 2, et son texte, donné ci-dessous après le scan, a été saisi en août 2021 par Bernard Gineste.

Scans de l'article de 1904

Saisie du texte

  • L'Abeille d'Étampes 93/3 (16 janvier 1904) 2.
  • Archéologie locale.
  • Vieux Instruments de musique à Étampes
  • On a lu avec intérêt dans la partie littéraire de l'Annuaire de l'Abeille d'Étampes pour 1904, l'étude de M. Eug. Lefèvre, Les premiers Spectacles dramatiques à Étampes, cette élude trop fragmentée en raison du peu de place qui avait pu être accordée à l'auteur. Nous sommes heureux de publier ci-dessous, une des nombreuses parties qui avaient été retranchées du texte, celle qui traite des instruments de musique anciens, dont on a pu discerner les formes, dans les fragments de sculptures, encore existantes aux voussures de la porte méridionale de Notre-Dame-du-Fort, à la suite de dévastation de 1562.

  • Dès le Moyen-Age, les instruments de musique furent nombreux.
  • À citer d'abord, les cloches qui résonnaient en savants carillons.
  • Le luth était d'une haute antiquité: on l'utilisait surtout pour les accompagnements comme nous faisons aujourd'hui de la guitare. C'était du reste une sorte de mandoline, à six, dix, douze rangs de cordes et même plus, tantôt simples, tantôt doubles. Le luth avait des similaires dans l'archi-luth ou théorbe, et la mandore, ce dernier simple diminutif du luth1).
  • Le théorbe atteignit sa plus grande vogue au XVIIᵉ siècle, avant que Lulli ait mis le violon à la mode. Une reine de l'élégance, Marion de Lorme, est représentée sur tous ses portraits jouant de cet instrument favori2).
  • La harpe était également très répandue, et s'appelait indifféremment harpe ou cythare.
  • Voilà pour les instruments à cordes pincées. Vient ensuite la série des instruments à cordes frottées.
  • On fait remonter leur origine dans notre Gaule au Vᵉ siècle, coïncidant avec la découverte de l'archet.
  • Il y eut d'abord le crouth des Bretons, qui par une suite de transformations devint vièles de diverses sortes, puis viole, et finalement violon, violoncelle et contrebasse.
  • Au Moyen-Age, les vièles se subdivisaient en vièles proprement dites, rotes, grandes vièles, rubèbes ou rebecs, et gigues, tous instruments à archets, bien entendu, qui différaient par la caisse de résonance, le manche, le nombre de cordes, et la taille.
  • Il existait encore un instrument à archet, mais à une seule corde, ayant beaucoup de rapports avec les vièles, surtout avec le rubec et le luth. Je veux parler de la lyra, sans comparaison avec l'instrument des grecs antiques.
  • L'instrument, connu aujourd'hui sous le nom de vièle, s'appelait alors symphonie, cifonie, ou chifonie. Ses cordes entraient en vibration à l'aide d'une roue et d'une manivelle. L'organistrum résonnait avec un système de frottement semblable, mais avait la forme d'une grande guitare.
  • Les jongleurs, ménestrels et troubadours se servaient généralement des vièles à archets et des vièles à roues 3).
  • Pour compléter cette énumération, nous ne pouvons nous dispenser de citer la trompette, le cornet de chasse et la cornemuse 4).
  • Le portail méridional de l'église Notre-Dame d'Étampes est une ancienne porte royale d'une haute valeur artistique et archéologique, que ses multiples ressemblances avec le portail royal de Chartres ont rendu particulièrement intéressante depuis ces dernières années.
  • Nos études personnelles, basées du reste sur l'opinion de quelques maîtres archéologues, nous permettent de croire qu'il fut érigé vers 1140.
  • Ses trois voussures en retrait l'une de l'autre, sont ornées de trente-six petits personnages sculptés dans la pierre en plein relief, représentant peut-être des Bienheureux et les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse, comme à Chartres 5). On a d'autant plus de mal à être fixé sur ce point que les Huguenots se sont acharnés à les détruire 1562 6). Par bonheur ces insensés ont dû trouver le travail pénible, grimpés qu'ils étaient sur des échelles ou des échafaudages, et leur fureur, après s'être lassée à presque complètement détruire les figures du tympan, s'est contentée de décapiter les trente-six images des voussures, dont certaines parties sont restées intactes 7). Un assez grand nombre des personnages, tiennent dans leurs mains, relativement énormes mais découpées avec conscience, des instruments de musique variés, que nous avons essayé d'identifier.
  • La tâche était difficile à cause de la petitesse des sujets. Ils ont beau être taillés avec soin, par la façon dont ils sont présentés il est impossible de connaître complètement leur forme. Enfin, durant le XIIe siècle, les formes elles-mêmes variaient infiniment pour une même classe d'instruments: pourtant la fantaisie qui se glisse souvent dans les œuvres de sculpture et complique encore les difficultés de l'identification, ne parait pas avoir sérieusement altéré les spécimens sous nos yeux.
  • Quoi qu'il en soit, voici le résultat de nos observations:
  • Pour deux instruments, pas de doute. Ce sont des harpes-cithares d'une belle présentation, et l'une d'entre elles est jouée.
  • La catégorie la plus nombreuse forme une série d'instruments également bien distincts des autres. Je les vois a fonds bombés sans éclisses, avec des ouies nettement creusées en fractions de cercles. Comme il n'y a pas trace avec eux d'archets, on est tenté de les assimiler à des luths ou à des mandores, instruments à cordes pincées. Mais l'extré­mité des manches, c'est-à-dire les chevillers, ne se rejetant pas en arrière en formant un angle, comme c'est toujours le cas dans la classe des luths, nous sommes bien obligé de les mettre dans la catégorie des vièles. Les cordes n'étant pas marquées, l'hésitation s'étend entre la lyra, le rebec et la vièle proprement dite. Je crois plus volontiers au rebec ou rebèbe, à cause de la taille des instruments, à cause de la longueur des manches et à cause des caisses de résonance qui paraissent être à fond bombé comme j'ai déjà dit. Bien entendu, ces instruments sont tous présentés au repos, géné­ralement tenus de la main droite, et appuyés sur la cuisse; sans quoi, l'identification eût été singulièrement plus aisée.
  • Un seul spécimen présente les particularités suivantes: de taille plus grande que les précédents, avec des échancrures, il est tenu de la main gauche et appuyé sur le genou gauche. Ses échancrures suffisent à indiquer un instrument à archet, puisqu'elles furent inventées parce que la caisse large contrariait les mouvements de celui-ci. D'ailleurs la main droite du personnage est dans la position du jeu, et on peut remarquer à l'endroit voulu, sur la caisse de résonance, la trace d'un archet aujourd'hui disparu. Cet instrument serait donc une rote; l'instrument qui est en quelque sorte le précurseur du violoncelle, quoique beaucoup moins grand que lui8).
  • Il reste encore plusieurs motifs de sculpture qui paraissent être aussi des instruments mais plus difficiles à définir et à identifier. Je les vois de taille moyenne, en forme de vièles, à caisse de résonance à tonds plats, sans trace d'archets, sans cordes marquées, sans même d'indication des ouies. On y verra peut-être des crouths ou des vièles proprement dites. Pour ma part, j'éprouve une très grande hésitation à me prononcer. Toutefois, si l'on a voulu sculpter des instruments à fonds plats, je dirai, d'après M. Grillet, que ceux-ci doivent plutôt figurer des instruments à archets.
  • J'ai vainement cherché un semblant d'instrument à vent. La constatation a son importance….
  • Depuis plusieurs centaines d'années, les simulacres d'instruments du portail de Notre-Dame, planent au dessus des hommes, inconsidérés et incompris. Ils témoignent pourtant avec force d'un état de civilisation et de prospérité très lointain de nous. Ils rappellent en outre, dans un temps trop infatué de succès très admirables sans doute, que nos ancêtres, il y a huit cents ans, trouvaient déjà de la douceur dans la musique même barbare. Ils proclament en quel grand honneur l'Église tenait l'art de Sainte-Cécile, puisqu'elle associait déjà la touchante beauté de la Musique avec les plus pures joies, d'abord, en l'utilisant sans cesse sur la terre pour les cérémonies de son culte, et en mettant des instruments entre les mains des Bienheureux, pour louer le Seigneur, dans le Ciel.
  • L.-Eug. Lefèvre.

1)
Notes de Lefèvre — J. Rambosson. Les harmonies du son.
2)
Joséphin Péladan. Histoire et Légende de Marion Delorme, p. 66.
3)
Laurent Grillet. Les ancêtres du violon et du violoncelle. 1901.
4)
J. Rambosson. Ouvrage cité.
5)
A. Clerval. Chartres, sa cathédrale et ses monuments, p. 32. Maxime Legrand. Étampes pittoresque, 2e édit., p. 198.
6)
Dom Fleureau. Les Antiquités d'Étampes, p. 238. Les renseignements les plus précis sur cet évé­nement se trouvent dans l'ouvrage de Pierre Plisson. Rapsodie. Manuscrit des archives communales d'Étampes.
7)
Ils ont trouvé moins difficile de s'attaquer aux objets mobiliers de l'église, que, toujours d'après Pierre Plisson, ils brisèrent ou brûlèrent. Nous devons ici plus particulièrement regretter la perte des livres de science ou des livres du chœur, parmi lesquels devaient probablement se trouver de curieux antiphonaires ou livres de plain-chant.
8)
Laurent Grillet, ouvrage cité, p. 113.
hn/hn.l.e.lefevre.1904b.txt · Dernière modification: 2021/08/12 18:24 de bg